La psychothérapie, un profond changement culturel

La demande de psychothérapie est un phénomène nouveau qui n’émerge dans le champ social que depuis une cinquantaine d’années, voire moins. La souffrance personnelle, l’insatisfaction ou le mal à vivre n’ont rien de neuf par eux-mêmes et la plainte est ancienne. Ce qui est nouveau, c’est la conscience de vivre amputé d’une partie de soi-même, quelles qu’en soient les causes, c’est le refus de considérer cette mutilation comme étant dans l’ordre des choses ici-bas, c’est la conviction que les moyens existent de transformer ces situations et qu’il s’agit là d’une possibilité offerte à chacun. De plus en plus de gens pensent que la qualité de leur vie est une question primordiale et qu’à côté de tous les paramètres extérieurs qui l’influent, quelque chose vient d’eux qui les empêchent de vivre à la hauteur de leurs ressources personnelles. Que tout un chacun s’estime autorisé d’aller « voir quelqu’un » pour ces raisons, cela ne s’était jamais vu, peut-être même depuis que l’homme parle. Prétention proprement révolutionnaire de nos sociétés occidentales.

Les demandeurs de psychothérapie sont d’abord mus par l’impossibilité de continuer à vivre ainsi. Poussés par leurs entourages, encouragés par les médias, ils décident « d’aller voir quelqu’un » comme il est dit le plus fréquemment. Faire « quelque chose », voir « quelqu’un », le vague des termes dit bien le flottement des esprits devant cette nouveauté. Mais voir qui ? Un médecin ? Un psychiatre ? Même quand la souffrance s’exprime par des façons dont médecine et psychiatrie se sont déjà saisies, états dépressifs, tentatives de suicide, symptômes névrotiques, problèmes somatiques, voire défenses psychotiques, les demandeurs ne se contentent plus de réponses qui les renvoient à plus de consommation, que ce soit de médicaments ou d’activités « divertissantes », ou à plus de résignation. Souvent ils sont déjà passés par là et ils ont découvert les limites de la médecine moderne, que ce qui « marche bien » une première fois devient vite insuffisant quand la vie repasse le plat de la souffrance.

La question que posent ces personnes, ni la psychiatrie et encore moins la médecine ne sont prêtes à la traiter ni peut-être même à l’entendre.

La médecine repose sur la notion qu’il y a des troubles pathologiques s’écartant de la normalité qu’elle doit corriger et guérir par son intervention. Ce qu’elle réussit fort bien dans son domaine propre. Pour le psychopraticien, il n’y a ni normal ni pathologique. Il y a une souffrance avec laquelle la personne se sent en porte-à-faux ou en désaccord. Il y a un état de guerre intérieure.

La psychothérapie vise à remettre en circulation toutes les énergies immobilisées dans cette guerre pour construire une situation de paix, en intégrant éventuellement des phénomènes qui, vus de l’extérieur, pourraient sembler anormaux. Pour ce faire elle s’appuie essentiellement sur les ressources personnelles du consultant qu’elle se donne pour objet de libérer ou de dégager. La médecine cherche à rétablir un état de santé antérieur ou un confort de vie satisfaisant. La psychothérapie aboutit généralement à un état nouveau de la personne qui s’accompagne de remaniements de profondeur variable dans sa vie et sa personnalité. Il est toujours un moment dans une psychothérapie où la nécessité d’un changement s’impose mais il n’a de sens que par rapport à la personne elle-même et il ne peut résulter que de sa dynamique propre, ce qui exclut toute manipulation et toute pression extérieure. Le psychopraticien ne saurait avoir de projet pour son client, à sa place. On est à l’opposé d’une démarche sectaire.

Si la psychiatrie dépasse en général la vision symptomatique des troubles psychologiques, elle a à cœur d’aider le patient à négocier sa relation avec le monde et son adaptation, en tenant compte de tous les paramètres en jeu. La psychothérapie relève d’une autre logique, celle d’aider le consultant à faire ses choix en fonction d’une cohérence intérieure retrouvée. Que de futurs psychopraticiens aient à acquérir des notions de psychopathologie n’est guère discutable et quasiment toutes les écoles de formation de psychopraticiens dispensent un tel enseignement. Il s’agit d’une formation originale qui se rapproche beaucoup de celle des psychanalystes et soulève les mêmes questions techniques.
A ce sujet, personne ne niera que la psychothérapie doive beaucoup à la psychanalyse. Elle en garde un corpus conceptuel de base ainsi que la nécessité absolue d’un travail sur soi et d’une supervision par des pairs. Comme elle, elle fait largement appel à des disciplines qu’ignore l’enseignement de la médecine, comme l’anthropologie, l’histoire, la linguistique, la mythologie, les créations artistiques. Elles lui sont aussi nécessaires que la psychophysiologie ou la psychopathologie.

Mais la psychothérapie s’est engagée dans une démarche expérientielle, constamment renouvelée. Face à l’émergence d’une demande issue d’une population très large et venue de tous les horizons socioculturels, elle a su se compléter d’approches que la psychanalyse rejette ou ignore. Parmi les plus caractéristiques on peut citer l’accent mis sur l’ici et maintenant, l’approche émotionnelle, le travail corporel, les techniques respiratoires, le toucher thérapeutique, la pratique des stages résidentiels, etc. Son fonctionnement lui permet d’intégrer des outils de travail variés et évolutifs car souvent engendrés par la rencontre du consultant et du praticien.

Pour faire face à cette nouvelle demande, elle a construit des programmes de formation professionnelle approfondie qui s’étalent sur plusieurs années de travail théorique et pratique avec des procédures d’évaluation et de supervision bien définies. La multiplicité de ses écoles donne une idée de sa richesse. Avec le temps et l’expérience, les formations s’interpénètrent et se fécondent mutuellement et les organismes professionnels mettent au point des procédures d’accréditation et établissent des listes de praticiens qualifiés.

La recherche d’épanouissement personnel qui se fait jour dans toute la société occidentale traduit un profond changement culturel. Qu’il lui soit répondu autrement que par des drogues ou des gestes ritualisés, qu’il ne soit pas visé un retour à l’ordre antérieur ou aux normes collectives, cela non plus ne s’était jamais vu. Le mouvement qui anime ces personnes tend à les faire passer d’une logique de l’avoir à une dynamique de l’être et leur démarche pour la plupart, se fait dans le sens d’une autonomisation et d’une assomption par chacun de sa propre vie et de ses engagements.