La place de l’amour en psychothérapie

La place de l’amour en psychothérapie

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La relation thérapeutique est une composante fondamentale du processus psychothérapeutique, elle y est au centre et ce qui se crée entre le client et le psychopraticien est de l’ordre de l’alchimie comme l’est l’amour. L’amour est difficile à définir même si nous pensons tous savoir ce que c’est.

Aldo Naouri (pédopsychiatre) lors d’une conférence, s’exprime ainsi à propos de l’amour : ”Je dirais volontiers, paraphrasant en cela ce que Saint Augustin disait à propos du temps, que nous croyons savoir ce qu’il en est de l’amour quand nous en entendons parler. Mais que nous avons le plus grand mal à le définir clairement si nous devons en parler“.

Amour est un mot chargé de sens, porteur d’ambiguïté et d’interprétations multiples. Cela peut susciter un certain malaise d’associer ce concept d’amour à la relation psychothérapeutique, il laisse la porte ouverte à moultes interprétations et projections surtout dans l’approche psychocorporelle où le toucher a une place prédominante et en plus on se fait payer….
Les clignotants rouges s’activent :
– ceux de la séduction et de l’abus sexuel
– ceux qui sous entendent que nous ne nourrissons que de bons sentiments à l’égard de nos clients, évacuant nos contre-transferts négatifs.
Mais qu’est donc ce lien singulier, cette relation qui “est d’amour sans être amoureuse. Cette intimité semblable à l’amour et indissociable du désir ?”
Dans un contexte psychothérapeutique, l’amour n’est ni romantisme, ni “guimauve” et surtout il n’est pas possession.

Ce lien est la relation dans laquelle le thérapeute et le client sont engagés ensemble dans un processus où la séparation en est l’aboutissement. Il nous renvoie à la dynamique du contact et de la séparation et à l’individualité.
Il est cependant un élément indispensable à la relation thérapeutique, car porteur de reconnaissance et de respect. Énergie de vie, il a cette puissance alchimique qui accueille ce qui est, sans jugement, qui permet de reconnaître et d’explorer aussi bien l’ombre que la lumière, qui transforme et unifie. Être dans l’ouverture du cœur, sans projet et sans attente comporte de poser avec conscience le transfert et le contre-transfert.

Mon premier client a sûrement reçu de l’attention et une présence respectueuse, mais j’étais tellement activée par un sens de responsabilité, de bien faire, trop poussée par le besoin d’accomplir quelque chose, dans la peur de me confronter à mon “je ne sais pas”, au plus près des techniques apprises, que j’étais distante de la forme d’amour telle que j’essaye de la vivre aujourd’hui dans ma pratique.

Frédéric Leboyer a écrit : “les bébés ont besoin de lait , oui. Mais plus encore d’être aimés et de recevoir des caresses.”
J’ai sûrement donné beaucoup de lait.

C’est à travers le toucher et en contact avec tous mes sens dans le travail psychocorporel que je me suis sentie touchée et que j’ai pu aller au-delà des techniques, privilégiant l’écoute de mon espace intérieur, et, me laissant guider avec confiance, par mon ressenti, mon intuition, j’ai pu alors me prolonger dans ce champ énergétique créé par l’amour.

Du besoin d’amour…

Le besoin de se sentir rassuré et aimé est profondément enraciné en nous. Chaque être humain a besoin de reconnaissance. Nos clients manifestent dans leur souffrance le sentiment d’avoir été mal aimés ou insuffisamment aimés. Nous savons que l’absence d’amour a des répercutions sur le développement de l’enfant.
Éric Fromm a écrit :“En contraste avec l’union symbiotique, l’amour accompli est une union qui implique la préservation de l’intégrité de l’individualité. L’amour est un pouvoir actif qui l’unit à autrui”.
L’amour inconditionnel répond à l’un des plus profonds désirs nostalgiques non seulement de l’enfant mais de tout être humain.

Le nourrisson a besoin de l’amour inconditionnel et de la sollicitude de la mère tant physiologiquement que psychologiquement. L’essence même de l’amour maternel est de veiller à la croissance de l’enfant, ce qui signifie vouloir que l’enfant se sépare. En tant que psychopraticienne, je ne peux assurer un amour inconditionnel, mais je peux offrir un accueil, fait de présence et d’écoute pour aider la personne à aller vers son autonomie.

L’amour est un élément indispensable à la relation thérapeutique, la partie la plus réparatrice de la relation, même s’il est impuissant à lui tout seul à soulager la souffrance. L’amour peut parfois être menaçant pour un individu qui vit habituellement dans un inconfort familier, car il s’agit de s’abandonner dans un territoire incertain où il peut se laisser submerger par l’angoisse d’abandon.

Combien donc il est important de créer une atmosphère de confiance, de sécurité et d’intimité.
James Kepner a écrit : ”Créer un environnement dans lequel les patients ont la possibilité de se risquer à revenir à l’intérieur de leur corps demande de la part du thérapeute un travail d’amour et d’affection”.
Une fois cette confiance créée, le thérapeute peut alors commencer à inviter le client à entrer de plus en plus en relation avec ses émotions, ses résistances, au fur et à mesure qu’elles commencent à émerger dans le processus thérapeutique.
Dans cette relation à deux, je suis à l’écoute avec attention en contact avec tous mes sens “Toi autre, tu m’intéresses, tu m’interpelles, ce que tu sens, tu ressens est ta réalité et je t’accueille dans ta singularité sans jugement même si elle est éloignée de la mienne. Je m’enrichis à ton contact parce que tu me donnes la possibilité de rencontrer cette part de moi que je ne connais pas.”

Notre culture actuelle impose à l’individu de rejoindre des modèles impossibles à atteindre qui le confrontent avec “le devoir d’être parfait” toujours à la hauteur des situations, ce qui crée des sentiments d’impuissance, de culpabilité, d’angoisse et de violence.
Les personnes arrivent avec leur lot de peurs, de solitude, de perte de sens, elles ont le sentiment de ne rien valoir aux yeux des autres, et se sentent parfois enfermées dans la prison de leurs croyances négatives, anesthésiées, coupées de soi et du monde.

Le toucher de l’intime, le toucher de l’Être

L’approche psychothérapeutique à travers le toucher est une prise de contact avec quelque chose de profond, l’intimité de la personne. Accueillir la personne telle qu’elle est dans l’espace présent, dans une présence à soi, implique que le thérapeute investisse un lieu débarrassé de toute intention, de tout projet pour l’autre, c’est créer un espace vide, c’est habiter un lieu sacré et se laisser inspirer par ce qui s’y incarne.

On ne peut toucher sans être touché soi-même. Toucher, c’est instaurer un lien concret, palpable. C’est un toucher de présence, de respect et de confiance dans l’énergie du vivant.
A travers ce toucher, il s’agit d’amener la personne à sentir et à se reconnaître dans sa souffrance, dans son histoire. Accueillir ce corps souffrance, ce corps mémoire qui porte en lui les traces et les signes du vécu personnel et ceux de l’héritage familial, ce corps en devenir, ne peut se faire qu’à travers le lien de l’amour. Cette résonance ne se manifeste que si le thérapeute est à l’écoute non seulement de ce qui se manifeste chez la personne, mais également à l’écoute des messages de son propre ressenti.

C’est pourquoi, un thérapeute psychocorporel doit avoir suivi une formation qui l’amène à vivre cette expérience, une formation qui n’est pas seulement basée sur des théories. Cette écoute est une présence aux sensations, aux émotions, une présence sans intention, simplement une présence qui permet à la personne de sentir dans l’acceptation de ce qui est et l’amener à développer cette écoute intérieure et lui permettre alors de mettre des mots et de les incarner.

Le sens du toucher est le premier à se développer chez l’embryon humain. La peau est le premier-né de nos organes avec les neurotransmetteurs. C’est aussi notre premier mode de communication. La perception par le toucher a une résonance profonde. ”L’éveil de la conscience de soi est en grande partie une question d’expérience tactile” nous dit l’anthropologue Ashley Montagu.

 

Rester en contact avec mes sensations n’est pas toujours confortable parce que sentir signifie aussi sentir mon impuissance, sentir mes émotions, sentir mon “je ne sais pas”. Cela demande d’avoir confiance en ce que je suis dans ma profondeur, d’avoir confiance dans le pouvoir de transformation que donne la vie, dans la puissance du créatif. C’est également avoir conscience que dans le vivant, l’ombre côtoie la lumière et que le tout est en moi, mais que si je suis nourrie de l’intérieur, si je suis dans une relation d’amour avec moi et les autres, je vibre avec tout l’Univers.
Mais cette forme idéale de “toucher présence” ne peut se manifester que lorsque le transfert et contre-transfert sont posés consciemment dans le champ de la relation

Le thérapeute est dépositaire d’affects puissants qui font de lui tantôt un objet d’amour et tantôt de haine ou les deux. Tous les clients ne sont pas aimables et certains peuvent activer des sentiments extrêmes et porter le thérapeute à contacter un sentiment de vulnérabilité. Le travail sur soi, les supervisions permettent de reconnaître sa part d’ombre et de ne pas la reporter sur le client afin que ce dernier puisse alors être ramené à soi.
Il s’agit de nettoyer son intérieur afin de créer du vide. Quand je suis en contact avec ce lieu, je suis dans un espace de prolongement, c’est un espace d’inspiration. Cette intimité prolongée à travers le toucher, est une sorte d’immersion dans un monde des profondeurs dans lequel le corps se révèle mystérieux puisqu’il incorpore une dimension sacrée.

En gérant son contre-transfert, le thérapeute permet au sujet de se sentir exister avec ses propres projections et de percevoir la limite de ce qui est à lui et de ce qui est à l’autre.
Irvin D.Yalom, thérapeute et romancier cite Nietsche : “Il faut vraiment que nous allions écouter ces chiens sauvages qui hurlent dans notre cave”.
Le mouvement de transfert et contre-transfert existe dans la plupart des relations affectives.
Le transfert est un lien, c’est un phénomène relationnel qui implique la présence inconsciente d’un tiers invisible. Durant la séance en psychocorporel, toute l’histoire et l’avenir de la personne qui travaille et celle de la personne qui accompagne sont présents. Le thérapeute vient avec sa personnalité, son affect occupe l’Ici et Maintenant. Il a le courage de se dévoiler, de voir l’émergence des différents aspects de soi, de sortir du confort pour être dans une relation vraie, mais il a également l’humilité à reconnaître ses limites, l’humilité à accueillir la multiplicité du sens et à accueillir l’expérience interne de l’autre.
La responsabilité du thérapeute est de prendre soin de soi, de nourrir son espace intérieur afin de maintenir vivante son énergie créatrice.

 

Comment imaginer traverser le monde des ombres, hanté par les personnages parfois terrifiants et terrifiés de l’histoire propre à chacun. D’où vient cette confiance de laisser émerger des souffrances profondes, des traumatismes invalidants, des émotions censurées, et d’où le thérapeute puise-t-il la force et l’inspiration pour accompagner la personne dans ses passages, si ce n’est qu’il est porté par cette énergie d’amour qui le relie aux autres et au monde.

Pour terminer, voici un extrait de l’ouvrage du philosophe Galimberti “I miti del nostro tempo” : “L’amour qui est sans mort (a- mors), est à la frontière de la mort, et la marge qui interdit d’outrepasser la limite qui fait d’un regard serein un regard tragique, est subtile” nous  rappelle Norman Brown dans son ouvrage “Life against Death”.
Nous pouvons donc dire que quand nous ne sommes plus capables de sentir et ressentir, quand nous ne sommes plus capables d’aimer, c’est alors que nous commençons à mourir.

La confiance qui se construit graduellement durant la relation thérapeutique permet d’accompagner le client dans une expérience qui l’amène à établir un lien entre ses sensations, ses émotions, son vécu et son histoire, un voyage à la rencontre de ses polarités, de ce qui est positif en soi, mais aussi le négatif, l’ombre et la lumière. L’accompagner à trouver ses réponses afin de s’accepter tel qu’il est. C’est un voyage qui explore les frontières entre conscient et inconscient.
Le thérapeute ne peut en aucun cas décider de ce sentiment d’amour, l’amour est un sentiment qui se manifeste quand il est déjà en soi.