Le premier homme et la première femme

Le premier homme et la première femme

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Dieu commença par créer la terre avec les montagnes, les rivières, les fleurs, l’herbe, les arbres, les fruits, les bêtes, bon… il continua en créant le ciel, les étoiles, la lune, le soleil, bien…

Dieu était content de lui, et il admirait ce qu’il venait de créer… lorsqu’un jour il s’ennuya. Alors, c’est ce jour là, qu’il décida de créer le premier homme et la première femme. Il les fit aveugles, les paupières fermées. Il plaça la femme dans une hutte au bord d’une rivière, il plaça l’homme dans une énorme cabane à l’orée d’une forêt, près d’une source, et entre les deux, il plaça une grande prairie et pour aller de la hutte à la cabane ou de la cabane à la hutte, il traça un chemin à travers la prairie.

Et là, il guetta, il voulait savoir lequel des deux allait rejoindre l’autre en premier, lequel des deux serait le plus impatient. Il avait une idée, ce n’était qu’une idée, il voulait en être sûr, alors il a guetté, il a guetté pendant trois jours et trois nuits oui mais trois nuits sans dormir pour guetter… alors il était fatigué.
Il eut une idée. Dieu avait toujours de bonnes idées. Il plaça sur le chemin, juste au milieu de la prairie, un gros tas de feuilles sèches. Ainsi s’il dormait, si l’un ou l’autre marchait sur le chemin, il était obligé de marcher sur les feuilles sèches et donc de les faire craquer et les feuilles craquantes allaient le réveiller. Il pouvait dormir, ça c’était une bonne idée. C’est ainsi qu’il est allé se coucher et qu’il s’est endormi.

Ce jour là , la première femme que Dieu créa, vaquait a ses occupations quand tout à coup elle sentit une odeur qu’elle n’avait jamais senti auparavant. Elle ne voyait pas, elle tendait le bout du nez et elle a commencé à marcher lentement, à tâtons vers l’odeur qui l’attirait. Elle a commencé à marcher à tâtons à travers la prairie sur le chemin. Quand tout à coup, elle ne l’avait pas vu, elle a marché sur un crapaud, un énorme crapaud avec de belles pustules brunes. Seulement le crapaud n’était pas du tout content, alors il envoya un gros jet de bave jusque sur la joue de la femme. Elle sentit ce liquide visqueux, elle l’enleva d’une main nerveuse et même elle s’en griffa les joues, les paupières et s’est ainsi qu’elle s’ouvrit les yeux. Elle déchira ses paupières et s’est ainsi que pour la première fois elle vit. D’abord un crapaud un petit peu écrasé et pas du tout content, et puis la prairie, le chemin et elle continuait de sentir l’odeur et cette odeur semblait venir de l’autre bout du chemin. Là-bas elle voyait, non elle ne voyait pas bien, elle allait s’approcher pour voir un peu mieux.
Pendant ce temps, Dieu dormait.

Alors sur le chemin la femme a commencé à marcher lentement, précautionneusement elle a marché, elle a marché jusqu’à arriver au bord d’un gros tas de feuilles sèches. Elle allait mettre le pied dessus, intuition, prudence, elle ne l’a pas mis, elle s’est retournée, elle est repartie jusqu’à sa hutte, elle a cherché, elle a trouvé une coloquinte, une cucurbitacée toute ronde toute sèche qu’elle a rempli d’eau, puis elle est revenu sur le chemin, cette fois elle a marché un peu plus vite et elle est arrivée auprès des feuilles sèches. Alors que Dieu dormait profondément, elle a mis de l’eau dans sa main et elle a arrosé les feuilles. Ainsi elle les a rendu muettes. Ainsi elle a marché sur les feuilles qui n’étaient plus sèches du tout, qui étaient toutes mouillées.

Dieu a continué de dormir. La femme a continué de marcher sur le chemin et petit à petit elle voyait bien, juste au bout du chemin, cette chose-là qui ressemblait à sa hutte, mais devant il y avait un être, qui semblait lui ressembler, enfin elle a continué jusqu’à un pas de lui. Quand elle est arrivée à un pas de l’homme, lui n’a pas bougé, sûrement il sentait aussi cette odeur mais dans l’autre direction. Il tendait son nez vers elle comme s’il l’avait senti venir et puis elle, elle a commencé à le regarder, à le dévisager de haut jusqu’en bas, de bas jusqu’en haut, sur le coté, dans le dos et là, elle a été certaine, qu’il lui ressemblait beaucoup mais pas tout à fait.
L’homme ne bougeait pas, elle entendait sa respiration parfois plus profonde, certaine fois plus légère, il avait l’air tranquille. Petit a petit le jour tombait, la nuit arrivait et là , elle a osé. Elle a tendu la main, non elle ne l’a pas touché, elle l’a juste frôlé, effleuré, mais elle a commencé à passer sa main le long de tout le corps de l’homme, sans le toucher, tendresse. Elle sentait bien que lorsque sa main arrivait à certains endroits, la respiration de l’homme était plus profonde. Elle a continué tant que le jour était là. Elle voyait le visage de l’homme comme un ciel de printemps un jour de grand vent, quand les nuages vont vite, très vite devant le soleil. Elle lui passait sa main lentement devant, derrière, sur le coté.
Maintenant elle était sûre qu’il lui ressemblait beaucoup mais pas tout à fait. La nuit était là, elle a continué encore et encore jusqu’au petit matin. L’homme n’avait pas bougé, mais au petit matin , le jour se levait, elle était décidée à repartir. Elle a baissé la main, elle a fait un pas sur le coté et là, l’homme, il a comme protesté, comme s’il ne voulait pas qu’elle reparte.

Alors il fallait le rassurer. Cette fois, elle a mis sa main à pleine paume sur l’épaule de l’homme, à pleine paume un long moment. Il avait l’air moins inquiet, alors elle a enlevé sa main et elle est repartie après avoir ramassé sa cucurbitacée. Elle a de nouveau, au retour arrosé les feuilles et ainsi, les feuilles lui ont offert leur silence. Et ainsi Dieu, il a continué de dormir.

Le soir à la tombée de la nuit, elle est repartie. Elle avait préparé une autre coloquinte plus belle que celle de la veille, elle y avait mis de l’eau toute fraîche, et pendant le sommeil de Dieu, elle a marché à grandes enjambées. Elle savait ce qu’elle allait faire et quand elle est arrivée près de l’homme, c’est comme s’il n’avait pas bougé depuis le matin, c’est comme s’il l’attendait.
D’un geste bref de ses ongles, elle a déchiré les paupières de l’homme et il a ouvert les yeux, et il a vu. Oh ! La première chose qu’il vit c’est la femme. Il s’y est attardé, il l’a bu des yeux, il l’a dévoré du regard de haut en bas, de bas en haut, sur le coté, de dos. Il la regardait, elle souriait. Il regardait du côté des épaules, plus bas, les deux collines toutes rondes. Il aurait bien aimé s’y reposer un moment, mais il a continué son exploration. Il est descendu plus bas, plus bas encore et là, il a vu, il a vu que cette femme-là, elle était blessée. Il l’a vu la blessure, ce n’était pas comme lui. Elle avait sûrement mal, alors il n’a pas hésité, il avait grand cœur le premier homme que Dieu créa. Il a tendu la main, il a posé la main sur la blessure de la femme. Il a entendu la femme gémir, un tout petit peu, c’était bien la preuve qu’elle souffrait. Alors, il a laissé sa main, il l’a laissé doucement et puis la nuit est arrivée. Sa main, parfois les deux, il les mettait là tendrement, puis il massait un peu, tout doucement et de temps en temps elle soupirait… toute la nuit… toute la nuit il a laissé ses mains là, sur la blessure de la femme pour lui faire du bien. Et le jour est arrivé, alors elle est repartie, il l’a laissé partir, il l’a regardait partir, il souriait encore, il l’a vu ramasser sa cucurbitacée et puis jeter de l’eau sur les feuilles. Dieu dormait profondément. L’homme savait qu’elle reviendrait.

Elle est revenue, elle est revenue le soir même. Lui il avait réfléchi, il savait ce qu’il allait faire. Quand elle est arrivée près de lui, il l’a attrapé par la main, il l’a fait entrer dans sa cabane. Là, il avait préparé des feuilles fraîches sur la terre, il s’y est étendu, il l’a invité à s’étendre près de lui. Cette blessure, il fallait la guérir, tout de suite. Il a posé ses deux mains sur la blessure de la femme, il a caressé… caressé… caressé encore et tout s’est précipité. Il l’a enveloppé de ses bras, de ses jambes, de ses caresses, de ses tendresses et tout à coup elle a senti dans son ventre… une force inconnue… attendue. Là, elle a crié un peu, il lui faisait du bien.
Il fallait continuer, et il a continué. Il l’a refait une seconde fois pour être sûr de ne pas s’être trompé et puis une troisième pour tout apprendre par cœur, heureusement ils n’y sont pas arrivés à tout apprendre par cœur, parce que à chaque fois de nouvelles caresses, de nouvelles tendresses s’en mêlaient. Un moment donné, lui a crié “Dieu que l’amour est bon” ce furent les premiers mots que prononça le premier homme.
Toute la nuit, ils ont créé la terre, le ciel, les étoiles, le soleil, alors que Dieu les avait déjà créés, alors que Dieu dormait profondément.

Au petit matin , non au grand matin, elle s’est levée, ils sont sortis, elle repartait, elle repartait en courant, elle a juste eu le temps de l’entendre crier dans son dos ”ce soir c’est moi qui vient”. Elle a arrosé les feuilles et Dieu a continué de dormir.

Le soir, lui il est allé chercher, il a trouvé parce qu’il l’avait vu faire, une toute petite cucurbitacée, mais qu’elle était jolie, elle était toute ronde, elle ressemblait un peu au fruit du grenadier ou même aux collines qui étaient entre les épaules et la blessure de la femme. Il est allé dans la forêt, à la source prendre de l’eau limpide et dès que le soleil s’est couché, il est parti sur le chemin. Il a fait comme il avait vu la femme faire, il est arrivé juste au bord des feuilles sèches, il a pris une grande lampée d’eau dans sa main et il a arrosé les feuilles. Seulement quand il est arrivé au milieu du tas, il s’est aperçu qu’il n’avait plus d’eau dans la coloquinte.
L’homme n’a pas été prudent, il a osé, il a osé mettre le pied sur les feuilles sèches et les feuilles sèches ont craqué. Coup de tonnerre, coup de foudre qui a réveillé Dieu. Dieu s’est levé, il a regardé, il a regardé et il a vu, il en était sûr, il le savait, il savait que c’était l’homme le plus impatient, il savait que c’était lui qui le premier irait rejoindre l’autre. Il l’aurait parié.

Comme il était content Dieu, maintenant il pouvait retourner se coucher. Il y est retourné mais pendant tout le temps où Dieu a su, a vu, pendant tout ce temps là, dans le grand silence primordial, le premier homme et la première femme ont su ce que le mot “désir” signifiait. Ils ont su aussi ce que voulait dire “secret”. Et depuis ce temps-là, tout le monde sait que c’est l’homme le plus impatient des deux.

Auteur : Claudie Obin
Transmis par D. Chambon