La sexualité du couple

La sexualité du couple

sexualite_couple_2avec l’aimable autorisation de Solenn Hart©

Me voilà maintenant devant ma feuille blanche, après avoir animé un stage traitant des troubles de la sexualité dans le cadre d’un enseignement de psychopathologie suivi d’un autre, à Paris, questionnant les couples impossibles lors d’un travail sur les freins et les résistances.
Dans quelle direction aller ? Le sujet est si vaste. Je décide alors de me centrer sur ma posture et ma pratique, recevant depuis de nombreuses années des couples et des personnes pour des demandes de problématiques sexuelles.

Une des grilles de lecture que j’utilise régulièrement dans ma pratique est la suivante :
Comment le couple est-il en lien sur ces 3 plans :
• Psychique ➝ intellectuel
• Cœur ➝ affectif
• Génital ➝ sexuel

Aurais-je tendance à croire et faire croire que lorsque nous atteignons une harmonie sur ces trois plans le bonheur est à notre porte ? Qu’en est-il des personnes ou des couples qui sont dans l’impossibilité d’y parvenir ? Peut-on évoquer la sexualité du couple ou la sexualité de 2 personnes au sein de leur relation ?

Nous avons l’habitude de faire travailler nos clients sur leurs histoires de vie, leurs croyances, les influences qui jalonnent leurs existences. Le champ de la sexualité est considérablement soumis à ces 3 facteurs. Nous pouvons alors conjuguer ces items à la grille de lecture et nous voilà en route pour aider nos clients à se situer dans leurs relations.

Un des facteurs d’influences que nous rencontrons souvent, est celui de la tradition judéo-chrétienne. Il n’est pas si éloigné le temps où l’église évangélisait à coup de diable, de confessions et du péché de chair. Guy Bechtel*, historien, décrit dans un ouvrage remarquable comment les prêtres, grâce à l’usage de la confession, contrôlaient la vie sexuelle des fidèles.

Nous pourrions nous hâter de penser qu’aujourd’hui tout le monde est dégagé de ces caractères d’influences. Il n’en est rien. Chaque jour j’entends à quel point de nombreuses personnes restent piégées sous le joug de cette culture religieuse qui exerce des freins et entraîne de la culpabilité jusqu’à empêcher la jouissance engendrée par la sexualité.
Oui, ça y est, je l’ai écrit ce mot : jouir !
Jouir, jouir oh oui je jouiiiis !!!

Ne sommes-nous pas aujourd’hui à l’opposé de cette culture culpabilisante du péché de la chair, lorsque nous nous obligeons à la jouissance ? N’est-il pas devenu suspect de ne pas orgasmer de nos jours, peu importe les moyens (enfin presque) ? D’une forme de culpabilité nous sommes en marche vers une autre. Culpabilisé il y encore peu de temps de vouloir jouir, culpabilisé aujourd’hui de ne pas y arriver…

Nos magasines regorgent à ce propos de nombreux conseils pour y parvenir :
• Comment la faire jouir à chaque fois…
• 40 trucs pour atteindre l’orgasme à tous les coups…
• L’orgasme simultané, c’est possible…, etc, etc.
Et nous voici aujourd’hui face à la tyrannie du plaisir !

Jean-Claude Guillebaud*, journaliste, revisite différents savoirs dictant nos réflexions contemporaines tant dans le domaine de la psychanalyse, que dans ceux de la théologie, de la politique, de la démographie, de l’économie et de la criminologie. Tous ces domaines s’intéressent à la sexualité et exercent des caractères d’influence sur la sexualité de couple contemporain ; la contraception guidant un peu plus aisément les couples face à ces différents déterminismes.
Oui la question du sexuel dans la cité est vaste et interroge notre société. Il m’arrive souvent de dire que mai 68 n’a pas libéré la société de la répression sexuelle. Il a produit de nouvelles données et de nouveaux comportements qui contraignent un certain nombre de personnes à devoir jouir, entraînant une nouvelle souffrance pour ceux qui n’arrivent pas, mais plus pour les raisons d’autrefois.

Ces nouvelles obligations se répercutent sur les relations de couple qui viennent chercher de l’aide en espérant ainsi répondre à la nouvelle norme sociale. Performance, épanouissement, équilibre, échange, communication, liberté, frigidité, impuissance, nullité, éjaculation prématuré, déviance, paraphilie, échangisme, hétéro, homo, bisexualité, fétichisme, S.M. etc. Voici une soupe sexuelle plus ou moins digeste, à consommer ou pas…

Alors, influencé par quoi ? Que pratiquez-vous en ce moment ? Êtes-vous dans la vague sociale ? Ah, j’allais oublier le tantrisme, si cher au développement personnel. Certains y rêvent, d’autres en doutent, et il y a ceux qui pratiquent, ceux qui culpabilisent et ceux qui n’y arrivent pas.

Où est la vérité dans ce flot de pratique ? Comment y voir clair, sans se faire souffrir et faire souffrir l’autre ? N’oublions pas certains couples qui revendiquent le droit d’être considérés comme heureux, sans sexualité génitale. Nous savons tous que la sexualité n’est pas que l’expression de la génialitéIl est devenu suspect de nos jours de ne pas s’épanouir sexuellement. Nous avons fabriqué une société de performances sexuelles.

Nous pouvons dire aujourd’hui que la sexualité serait basée sur le plaisir, qui nous conduirait vers la détente, une forme de rencontre au sein de laquelle l’amour serait possible et dont le but serait de nous épanouir individuellement dans le couple.
Lorsque j’accueille un couple, je leur signifie au début du travail que je ne serai pas le thérapeute de l’un et l’autre. Je serai le thérapeute au service de la relation, j’occuperai la place du tiers.

Occuper la place du tiers demande une observation très aiguisée sur sa posture afin d’interroger constamment les possibilités d’alliances conscientes ou inconscientes qui influencent le praticien. C’est pourquoi il est plus confortable de travailler en binôme face à un couple. Une supervision directe peut éventuellement s’établir au sein du couple de thérapeutes. Je vais jusqu’à choisir une place symétrique face au couple de consultants pour former un triangle dans l’espace. J’ai remplacé mon canapé deux places par deux fauteuils afin que chacun soit distant l’un de l’autre pour mieux s’exprimer et se voir.

Nous savons, que la fusion induite par le canapé deux places, inhibe ou repousse l’expression possible, celle qui ne se dit jamais au domicile du couple. Mais il m’arrive aussi volontairement de m’approcher de l’un ou de l’autre avec mon siège à roulettes quand je décide de donner du soutien quand cela m’apparaît comme nécessaire. La place du corps est sans aucun doute une dimension importante à travailler. Il n’est nullement nécessaire d’en convaincre les psychopraticiens  psychocorporels que nous sommes.

J’ai pour habitude avant de démarrer un travail de faire l’anamnèse de différents symptômes hypothétiques. Il est pour moi hors de question d’entamer un travail introspectif, si les causes cliniques ne sont pas éliminées. Si le déroulement des séances fait émerger un obstacle individuel chez l’un ou chez l’autre, je refuse de recevoir l’un ou l’autre en individuel. Je tiens à rester le thérapeute de la relation du couple. Entendre seul l’un ou l’autre faussera de toute évidence ma place de tiers et influencera la suite du travail. En recevant individuellement l’un ou l’autre; nous devenons détenteurs et réceptacles de paroles, d’émotions et de faits que nous devrons garder en nous face à l’autre. Je renvoie alors vers d’autres confrères pour préserver ma place de tiers.

Nous pouvons explorer la place du corps avec le couple, en face à face ou aidé par différentes techniques basées sur l’awareness afin de permettre à chacun de prendre conscience de ce qui se vit et peut s’exprimer dans le corps de l’autre. Que de surprises, quand l’un ou l’autre peut exprimer sa différence, même si cela apporte certaines désillusions. La quête de fusion entraîne souvent le couple dans le besoin de ressemblance, pur produit de l’illusion amoureuse.
Nous pouvons aussi explorer comment le corps n’est que l’objet de sa propre jouissance ou de celle de l’autre, comment il peut être mis au service comme un don pour l’autre. Le lien du cœur pourra nous permettre d’interroger la fluidité ou la retenue des émotions. Le besoin de soutien et de protection, la peur de blesser et d’inhiber.

La dimension de l’esprit pourrait permettre aux deux partenaires de partager leurs idées sincères et profondes au risque de décevoir l’autre ou de l’émerveiller. Le fond est de trouver du soutien et d’échanger, espérant un complément intellectuel mutuel.

Nous savons aussi que le début de la relation amoureuse est soutenu par attirance magnétique. Les phéromones n’ont plus de secret pour nous. Le couple vit dans une fusion rassurante, mais au fil du temps, de nombreux facteurs vont interférer dans la relation. Pressions extérieures, non-dits, frustrations, arrivée des enfants, etc, tous ces facteurs engendreront une baisse de l’énergie émotionnelle, relationnelle et sexuelle. Pourtant il s’agirait d’être toujours amoureux, aimant, amant désireux et désirant, séducteur, amante attirante, réconfortante et rassurante.

Se rajoute à tout cela les blessures occasionnées par les séparations antérieures poussant certains couples à former des familles recomposées. Faut-il parler ou juste effleurer les trahisons, les amants et les amantes rencontrés certains soirs de désespoir ou au virage d’une grande solitude dans son couple. Bien évidemment, je ne parle pas des abus de l’enfance qui laissent des travers indélébiles dictant des comportements non contrôlés dans la relation à l’autre. Bien sûr, je ne parlerai pas des maltraitances psychiques subies dans l’enfance ou au sein de relations antérieures. Des incestes non dits et des climats incestueux qui orientent la suite du développement de la sexualité et de ses blocages. Tant de thèmes à explorer en thérapie de couple.

La lecture phénoménologique de Jung évoquant le travail de mise en relation de nos ombres avec la lumière peut permettre un véritable travail en profondeur de réparation des blessures intérieures. La sexualité mettant chacun en lien avec son intimité, fera resurgir des parties encore souffrantes.

L’espace thérapeutique peut permettre au couple de comprendre l’origine de ses blessures qui organisent certains blocages sexuels. Il s’agirait de les reconnaître faisant partie de soi et influençant la relation. Il serait possible de les accepter et de finir par les aimer, car elles sont à l’origine de la singularité de l’être.

Si chacun est dans l’amour, il devient possible de soutenir une partie du chemin de réparation et de transformation. Il est aussi possible d’arrêter de charger l’autre de son impossibilité à jouir et de prendre avec soi la responsabilité de sa propre jouissance.

Pour finir ces quelques réflexions, je trouve important de féliciter les couples qui prennent le chemin de la thérapie. Grâce à la crise qu’ils traversent, et non à cause d’elle, ils vont se donner les moyens d’interroger cette crise qui pourra donner du sens à un passage à traverser. Bien souvent peut apparaître un travail de deuil à réaliser afin d’enterrer un idéal avec lequel on avait choisi son ou sa partenaire au début de la relation. Ce travail de deuil pourra conduire le couple vers une plus grande maturité individuelle aménageant de nouveaux ajustements possibles entre les partenaires.
Le romantisme est mort, vive la réalité.

* Bechtel Guy : “La chair, le diable et la confession”. Chez Plon .
* Jean Guillebaud : “La tyrannie du plaisir”. Aux éditions du seuil