L’inscription sociale du psychopraticien / Journée d’étude du 5 novembre 2011

L’inscription sociale du psychopraticien / Journée d’étude du 5 novembre 2011

Inscription-sociale-du-psychopraticien

Journée d’étude de l’Association Européenne de Thérapie Psychocorporelle et Relationnelle (AETPR),
tenue le 5 novembre 2011 au Centre Européen de Thérapie Psychocorporelle de Strasbourg (CETP)

Une trentaine de praticiens ont débattu de ce thème dans le contexte des premières réunions
des 
commissions d’inscription sur le registre national des psychothérapeutes.

En préambule un mot ému d’Éliane Vaux nous annonce la mort de Serge Ginger quelques jours auparavant. Elle revient sur son combat infatigable pour la reconnaissance de la psychothérapie et des psychopraticiens.

Les débats sont introduits par
• Valerio Canzian citant Saint Paul : “Pourtant, je ne connus le péché qu’à travers la Loi. Je n’aurais pas connu le désir si la Loi n’avait dit : ne désire pas”.
• Claude Vaux rappelant dans quel contexte de crise se situe cette journée. La décision des pouvoirs publics de légiférer sur le titre de psychothérapeute nous a entraînés dans un long combat de six ans (2004-2010) aboutissant de leur côté à mettre en place les commissions chargées des inscriptions sur le registre national et du nôtre à adopter un nouveau nom, celui de psychopraticien complété de “certifié ou de relationnel”.

Les commissions sont en cours d’installation et elles ont commencé à fonctionner. Les premières informations, encore fragmentaires, montrent que le processus varie d’un endroit à l’autre. Il règne un flou artistique sur les modalités des stages de psychopathologie.
Claude Vaux rappelle que le CEP représente à l’heure actuelle la réponse la plus pertinente à la législation française, même s’il n’a encore de valeur légale nulle part.
Il insiste sur le fait que le décret de 2010 concerne le titre de psychothérapeute et non l’exercice de la psychothérapie.

L’AETPR a retenu quatre thèmes pour cette journée :
– le deuil à faire du titre de psychothérapeute,
– la naissance du nouveau titre,
– la communication sur celui-ci,
– la crise que la profession traverse et ses liens avec LA crise.
Ils seront abordés en sous-groupes le matin et rapportés et repris en grand groupe l’après-midi.

La Crise

Les psychopraticiens sont des spécialistes de l’accompagnement de personnes en situation de crise. Ils en connaissent bien les caractéristiques :
– situation marquée par l’imprévu, par l’absence de repères face à ce qui arrive, sentiment d’impuissance qui empêche de penser librement et de chercher les outils nécessaires, d’où l’angoisse et
– le sentiment d’urgence : il faut faire très vite quelque chose pour retrouver l’état antérieur, décrit a posteriori comme «tranquille», l’angoisse et l’impuissance créant une illusion sur le passé, alimentée par/alimentant le système des croyances.

Les psychopraticiens aident leurs consultants à garder (retrouver) la liberté de leur pensée, à sortir du sentiment d’urgence et d’impuissance, à accepter que de telles crises fassent partie de la vie et à mobiliser leurs ressources pour transformer leur vie.
Ils savent que la crise conduit presque automatiquement à remettre en question le système des croyances. Ils le savent d’autant mieux que M. Accoyer les a eux-mêmes confrontés à une crise en les amenant à devoir faire le deuil de leur titre chèrement acquis et à rebondir.

Ils ont à l’esprit les mythes les plus anciens de l’humanité qui mettent si souvent en scène une crise grave (comme un archétype de la crise) survenant dans un groupe humain. La crise ne pourra être résolue que par l’apparition d’un héros qui rompra avec les habitudes et les croyances et partira à la recherche d’une solution, affrontant l’inconnu et les dangers avant de revenir sauver son peuple. Ainsi s’est forgée la conviction que les crises font partie de l’histoire des sociétés. Et nous savons qu’elles font partie de celles des personnes, accompagnant et modelant l’évolution des unes et des autres.

Peut-on tracer un parallèle entre la crise existentielle de ses consultants telle que la connaît le psychopraticien et la crise globale ?
Dans la crise si présente dans l’actualité, il ne s’agit pas tant des stéréotypes si souvent entendus sur la crise, crise des valeurs, crise morale, crise de civilisation, que du seul aspect de la crise qui mérite d’être considéré ici, à savoir l’aspect économique. C’est lui en effet qui met en branle les mêmes mécanismes émotionnels et paralysants que la crise existentielle de nos consultants, d’autant qu’il fait l’objet actuellement d’une intense dramatisation médiatique. Dans les deux cas, on retrouve le vécu de la crise comme menace d’effondrement. Rien ne dit qu’il va y avoir effondrement, mais c’est bien ce qui caractérise le ressenti et surtout la croyance…

Dans les deux cas, la confrontation à la crise est déstabilisante car elle fait rapidement apparaître, surtout quand elle vient se répéter, la nécessité d’une mise en question et donc d’un changement, en même temps qu’elle fait régner un sentiment d’impuissance.

L’habitude d’être confronté à la situation de crise donne-t-elle au psychopraticien des outils pour aborder la crise économique autrement ? Psychopraticien et consultant sont-ils aussi perméables au discours commun et médiatisé sur LA crise, ont-ils un regard critique ?

Plusieurs éclairages sont apportés qui modulent le discours ambiant et anxiogène sur la crise:
– une intervenante d’Humani-psy rapporte son expérience : les personnes accompagnées dans ce cadre ne pourraient l’être autrement en raison de la précarité de leur situation matérielle mais, ceci étant posé, leur problématique et la façon dont elles la vivent et la travaillent ne diffère pas de celle des autres personnes…
– on dramatise la situation des jeunes adultes condamnés à entrer dans le monde social dans un contexte de crise, mais ceci est essentiellement le fait de la génération des parents. Pour les jeunes adultes, c’est leur réalité, celle dans laquelle ils ont grandi. Différente est la crise de l’adolescence qui pose des questions indépendantes de la crise économique mais en rapport avec l’évolution globale de notre société et la carence de procédures d’initiation…

Une phrase est lancée dans le débat qui laisse perplexes plusieurs d’entre nous sans qu’on puisse l’approfondir «le capitalisme tue le désir»… Et la crise serait-elle nécessaire pour le réanimer ?
Dans le même esprit, et poursuivant le parallèle entre la crise économique et la crise que connaît le psychopraticien, la question est posée d’un lien entre l’émergence de nouvelles pratiques économiques et l’émergence d’un nouveau titre, celui de psychopraticien.
Y a-t-il dans les deux cas une façon d’accompagner le changement en créant de nouvelles façons d’agir et d’interagir. On peut dès lors voir la crise comme une passerelle vers le changement, vers l’évolution. Et d’ailleurs, peut-il y avoir évolution sans crises ?

Le Deuil

Il y a un deuil à faire, celui du titre de psychothérapeute, de ce qu’il représentait, aussi bien au niveau individuel de chaque praticien que de l’ensemble de la profession. Il est essentiel de prendre le temps de s’arrêter, de considérer de quoi on se sépare.
La naissance du nouveau titre et de ce qui l’accompagne ne doit pas être entravée par le deuil de l’ancien. Tout en sachant que ce deuil n’est pas vécu de la même façon par les anciens qui se sont battus pour être reconnus dans leur légitimité et par les débutants dans la profession. Beaucoup sont d’autant plus sensibles à cette perte qu’ils ont pu s’identifier à leur titre de psychothérapeute. Le perdant, c’est comme si on les dépouillait de leur identité.

On retrouve dans ce processus les étapes classiquement décrites de tout deuil :
– le déni : on a du mal à renoncer, certains gardent le vague espoir que ce ne soit pas définitif, que, par exemple, un changement de gouvernement entraînerait le retrait du décret de 2010…
– la colère : sentiment d’injustice, de spoliation, de dépossession, en rapport compréhensible avec la lutte qu’ont menée les plus anciens pendant des années pour faire reconnaître leur légitimité et le statut de la psychothérapie dans le champ médico-social. Tant d’années d’effort pour en arriver à ce qu’on soit dépossédé de ce titre pour en vêtir d’autres qui n’ont rien fait pour et qui, à notre sens, n’en possèdent pas la compétence. Ce titre ainsi vidé de son sens devient une coquille vide, alors qu’il représentait tant pour nous…
– la dépression : découragement, tristesse, sentiment de vide, envie de baisser les bras, à quoi bon, ils sont plus forts que nous…
– l’acceptation : ok, nous perdons ce titre. Quelles en sont les conséquences ? Peut-être cette perte n’est-elle pas dramatique. Il y a même dans cette perte, dans cette séparation, des aspects positifs.

On perd d’abord un flou certain. Il y avait dans le terme de psychothérapeute quelque chose de bâtard, de mal défini et peut-être même entaché d’un possible charlatanisme. Ce qui n’était pas toujours faux, car certains s’en arrogeaient le titre sans remplir aucune des conditions incontournables…
Il est bon pour toute profession, pour tout professionnel d’être à un moment donné bousculé dans son identité. L’abandon du terme thérapeute est même intéressant. Nous sortons du grand fourre-tout paramédical pour nous orienter vers le psychosocial, nous ne sommes plus des auxiliaires des soins nobles qui seraient ceux de la médecine et/ou de la psychiatrie. Même si notre activité a des effets indiscutables sur la santé de l’individu, ce n’est pas le principal.
C.G. Jung disait que la psychothérapie ne devait pas rester aux mains du savoir médical. Il n’est pas juste question de santé mais d’unification de toutes les sphères de la personne en incluant les notions de conscient et d’inconscient.

Effet secondaire très intéressant de ce deuil : nos consultants n’ont plus à se définir comme malades et encore moins comme fous. L’accès à nous en sera peut-être même facilité, mais surtout cela permet de pointer que la souffrance, le mal-être qu’ils vivent, le désir de changement personnel dont ils sentent la nécessité sont d’un autre ordre que le médical. Nous n’avons plus à nous définir comme des “ni (psychiatres) ni (psychologues)” employé pendant les turbulences du débat autour de la loi. Aujourd’hui, nous pouvons affirmer que nous sommes des psychopraticiens certifiés.
Il convient d’accueillir notre nouveau titre comme un nouveau-né et à en célébrer la naissance avec tout le potentiel qu’elle porte.

La Naissance

Naissance d’une nouvelle identité : un psychopraticien est un praticien qui œuvre dans le champ du psychique (la psyché, l’âme), en utilisant des techniques auxquelles il s’est formé et dont la pratique a été certifiée. Nous quittons une identité qui se définissait négativement par rapport à d’autres professions.

Notre pratique, dans sa spécificité, n’est pas apparue sans raison : elle accompagne elle-même la naissance d’une nouvelle demande de changement de la part des personnes. Ce qui n’est pas sans conséquences.

D’une part, le collectif doit comprendre notre travail et le reconnaître dans sa spécificité, mais l’actualité nous a montré que les politiques sont largement en retard sur le public sur ce point. (Est-ce même parce que nous étions trop reconnus par la société civile et si peu par les pouvoirs publics que le législateur a voulu y mettre de l’ordre ?)
D’autre part, notre accompagnement tend vers une autonomisation des personnes dans leur pensée et dans leurs engagements relationnels, ce qui réduit la possibilité pour la société et les pouvoirs de les manipuler. Notre activité peut donc déranger, car si le travail de thérapie porte sur la singularité de chacun et s’il ne vise pas à l’insertion sociale, il ne se fait pas contre le collectif, mais contre toute décérébration. Et les bénéfices pour la société, s’ils sont difficilement chiffrables car essentiellement qualitatifs, sont réels au vu du coût que représente la souffrance, la dépression, le mal être avec les troubles, les addictions, les violences qui peuvent leur servir d’exutoires.

Les circonstances nous amènent à nous recentrer sur l’essentiel en quittant le vieil habit. Comme un prêtre qui se défroque pour rester fidèle à ce qu’il considère, lui, comme l’essentiel de son engagement.
Notre formation est spécifique. Elle se démarque du cursus universitaire par le parcours expérientiel et l’engagement personnel qu’elle demande. Le psychopraticien ne se contente pas de savoir, il sait être et il sait faire. L’exigence de la connaissance de soi par la psychothérapie personnelle est unique. Le savoir-faire qu’il acquiert au cours de son cursus dans les instituts lui permet une efficience dès l’entrée en activité. Le psychopraticien est toujours en mouvement, il se remet en question et il remet en question sa pratique pour suivre l’évolution des personnes et de la société.
Devant le progrès technologique, le morcellement des familles, de la vie, les bouleversements sociaux et culturels, le psychopraticien propose une relation, une écoute, un toucher avec tout ce qu’il est.

 

Nous devons maintenant promouvoir ce titre, le définir clairement dans sa spécificité. Il faut pour cela que les professionnels et les organisations se rassemblent autour de lui et le fassent connaître. Ainsi va-t-on accompagner ce nouveau-né dans le lien avec ceux dont il est issu, le reconnaître, le nourrir, l’aider à grandir.
Et qui dit naissance dit faire-part. Annoncer au monde une naissance avec JOIE et FIERTÉ, la naissance d’un nouveau titre… donc communiquer !

La Communication

Communiquer sur le titre c’est communiquer sur ce qui le définit : une formation fondée sur l’expérientiel et l’engagement personnel, une pratique basée sur le relationnel.

On doit faire savoir au public que le psychopraticien considère le consultant comme une personne, ni comme un malade, ni comme un fou. L’accompagnement peut être soignant, c’est-à-dire avoir un effet de soin, non tant par ce que le psychopraticien prescrit ou donne mais par le mouvement soignant qu’il facilite, suscite, autorise, dans la dynamique intime, unique dans sa spécificité, du consultant. À ce titre le praticien fait partie intégrante d’un montage soignant alors même que son propos n’est pas de soigner. Et l’effet soignant est aussi un effet socialisant : en prenant soin de lui-même, le sujet prend également soin de la qualité de ses relations.

Nos associations professionnelles doivent s’adresser aux vecteurs d’information, aux médias. Il faut qu’elles intègrent le nouveau titre dans leur dénomination, qu’elles communiquent largement et activement sur le sujet, qu’elles le définissent positivement, en insistant sur sa spécificité. Un des éléments de langage (pour reprendre un terme que le gouvernement actuel a mis à la mode) pourrait être que nous nous refusons à considérer les gens comme malades ou fous tout en reconnaissant et en accueillant leur souffrance, leur mal-être, leur désir de changement personnel.

Nos organisations doivent faire savoir que pour elles l’inscription sur le registre national des psychothérapeutes ne qualifie pas une personne à exercer la psychothérapie et ne saurait entraîner ipso facto l’inscription sur leurs registres professionnels. Toute clarification doit être faite à ce sujet sur les sites Internet et sur ceux qui relaient ou qui y renvoient. Les critères garantissant la compétence des praticiens doivent y apparaître clairement.

La communication doit être aussi localement l’oeuvre des praticiens, aussi bien individuellement que collectivement à travers la visibilité du titre : plaques (un rituel collectif: on change tous les plaques…), cartes de visite, sites, etc. et de leurs échanges avec les personnes et les institutions (URSSAF, Agences Régionales de Santé, caisses de retraite, assureurs, etc.). Le nouveau titre doit apparaître clairement dans les textes, les titres des colloques et des rencontres, etc.
Dans cette même optique, les travaux de cette journée d’études doivent être largement diffusés au sein de la FF2P et portés à la connaissance des autres associations professionnelles.

Un constat pourrait servir de conclusion. On pouvait craindre à un certain moment, que le nouveau dispositif légal freine les demandeurs de psychothérapie et les postulants à la formation en psychothérapie. Il semble bien, compte tenu des fluctuations saisonnières et des effets de la crise économique, que cela n’a pas été le cas. Notre analyse, estimant que la psychothérapie telle que nous la pratiquons constitue une réponse spécifique à un besoin spécifique de la population, semblerait ainsi confirmée.

Compte rendu rédigé par Lucien Tenenbaum,
s’appuyant sur les textes des rapporteurs de chaque groupe.