Dites, au fond, c’est quoi le bonheur ?

Dites, au fond, c’est quoi le bonheur ?

cest-quoi-le-bonheur

La vie est constamment en mouvement. La mort, c’est l’arrêt du mouvement. Tant qu’on n’est pas mort, on est en vie.

Alors le bonheur, pour moi, c’est être dans le mouvement.
Un accueil tranquille de ma réalité intérieure en prise avec l’alternance des situations extérieures. Ou comme le dit le Yi king “Conservez une unité d’âme dans une sage diversité d’attitude“.
Il ressort d’une telle définition deux questions :
– le bonheur est-il un état ou l’acceptation du mouvement ?
– quelle différence entre la notion de bonheur et la sensation de bonheur ?

Comme le dit Yvan Amar(1) “Si l’action peut être une voie, si le sentiment peut être une voie, il apparaît évident aussi que la pensée peut en être une, tout aussi noble. En aucun cas, ni la pensée, ni le sentiment, ni l’action ne peuvent s’approprier le Réel ; lorsqu’ils ne sont plus centrés sur l’autogratification, ni uniquement esclaves de l’intérêt personnel, mais au service de l’énergie et de la conscience qui les engendrent, alors la pensée, le sentiment et l’action peuvent célébrer le Réel que nous sommes”. Le décalage existant entre celui qui propose des mots et ceux qui les lisent oblige à une certaine rigueur et vigilance de part et d’autre. C’est un premier effort que j’ai essayé de fournir dans le patchwork des affirmations non démontrées et questionnements inachevés qui suivent, dont le but n’est pas d’énoncer des vérités, mais de stimuler la pensée. Le mode de pensée auquel je me réfère est occidental, et par conséquent reste limité à une certaine vision des choses. Par contre l’Esprit qui anime cette pensée est à mon avis plus vaste… L’Esprit est libre des contingences dans lequel il prend corps.

Quelques considérations

Quelqu’un a dit : “le plus sur moyen d’atteindre ce que l’on cherche, c’est d’abord d’en prendre conscience, et ensuite d’en faire le deuil”. Pas facile quand on sait que le processus du deuil demande de sortir des attentes. Pour cela, passer par l’expression est une aide non négligeable.

Attentes non satisfaites, attachement aux manques orientent et guident bien souvent notre vision du bonheur. Absence de faute. Ce n’est ni bien ni mal. C’est.
Et c’est par une constante dépendance à l’extérieur que, dans la majorité des cas, l’on se définit heureux. Lorsque l’extérieur nous donne ce que l’on “veut”, système de la gratification, relié à l’attente d’une autorisation. C’est aussi l’absence de liens dans ce qui se trame dans notre vie intérieure qui rend malheureux. Une vie intérieure faite de croyances, essentiellement des enfermements fondés sur l’apprentissage et non l’écoute.

La question du bonheur, comme toutes les questions qui touchent la subjectivité de l’être humain, porte sur ces croyances. Conséquence directe d’une construction en relation avec les contextes dans lequel on a grandi. Habitudes, attitudes, modes de fonctionnement deviennent des traits de caractère qui finalement nous amènent à dire : ça c’est moi. Or “ça” n’est jamais tout moi, c’est une partie de moi qui trouve une forme et une expression dans un ici et maintenant avec l’extérieur. Il s’ensuit des effets qu’on passe ensuite au moulinet du mental, en jouant, dans l’imaginaire respectivement les rôles de l’accusé, du juge, de l’avocat, du procureur.

La question de la dépendance au bonheur est à mon avis directement reliée à cette dépendance à nos croyances, nos habitudes, nos enfermements, conscients et inconscients.
Par contre, accéder au bonheur n’implique pas que nous ayons à suivre le même chemin, ni à atteindre les mêmes objectifs.

Que recherchons-nous à travers le bonheur que procurent les choses matérielles ?

Il existe une grande confusion sur la notion “d’aller mal” et une quantité incroyable de recettes pour “aller bien”. Or les recettes sont des créations individuelles qu’on tente d’imposer autour de soi.
En matière de réponses toutes faites l’être humain est très créatif. Je suis personnellement émerveillé par cette surenchère de créativité qui s’adapte continuellement au contexte d’une époque. Tous ces produits et services qui proposent des pistes intéressantes, à suivre si l’on s’en sent proche. Ils aident à construire un regard sur la vie, sont une aide ponctuelle, bien souvent conjoncturels en réponse à l’esprit du moment, du temps. Et pourtant elles sont nombreuses les fois où des biens acquis ont procuré du bonheur pour ensuite finir dans les oubliettes. Demeure une frustration, celle d’un manque.
Conditionné à combler ce manque par des satisfactions matérielles qu’on qualifie ensuite de bonheur, il me semble que le postulat de base est faussé. Un amalgame fait entre la recherche d’un plaisir certain que procure ces choses matérielles et un sentiment de sécurité. Sentiment illusoire, la Nature nous le rappelle avec les “tsunamis”, proportionnés à l’ampleur de la mondialisation de l’économie marchande. Pour sortir du tabou qui fait couler tellement d’encre rouge, ce qui nous permet d’accéder à ces moments de bonheur c’est l’argent, Aïe, Aïe, Aïe, le mot est prononcé…
En fait, la croyance qu’on dispose d’un pouvoir est illusoire lorsqu’il s‘agit d’accéder à une qualité vraie dans la relation. Une fois reléguée à sa place d’outil, cette énergie n’est plus mise au service de la prise de pouvoir dans la relation.

Il existe un proverbe chinois qui dit : “le but c’est le chemin”. Si la croyance que “posséder procure du bonheur” est une utopie (synthèse de deux mots grecs “nulle part” et “lieu de bonheur”), et les utopies servent le chercheur dans la mesure où elles lui permettent de se mettre en route, la question peut se transformer en une exclamation : à la bonne heure ! Quelque chose qui se produit à point nommé et procure une sensation agréable. On passe ainsi d’une réponse déshumanisée de la question à une réponse personnelle et immédiate. Le but qu’on se fixe n’ayant pour seule fonction que d’échapper à l’ici et maintenant.

Ainsi les questions qui tournent autour de la notion du bonheur ravivent un thème douloureux : l’aliénation dans laquelle on se trouve plongé de par notre histoire personnelle, par le système d’une économie marchande dont nous sommes les co- créateurs, interférant dans notre capacité à mâcher, digérer les informations qui nous parviennent. Ni bien ni mal. C’est. Par contre, je peux choisir comment je me positionne en face. La psychothérapie pouvant aider à retrouver ce libre-arbitre lorsque le mouvement entre une réalité intérieure et extérieure se trouve figé. Quelque soi le niveau de conscience auquel on se trouve, ce mouvement est toujours figé quelque part. Il l’est, là où apparaît la nécessité d’une friction. L’homme préhistorique frictionnait le bois sur une pierre ; il en jaillissait du feu, c’est à dire de la lumière et de la chaleur.

Le bonheur, une affaire de paramétrage

Le bonheur serait-il une histoire de contraste, de flou et de netteté, de luminosité et d’obscurité ?
Histoire de focale aussi. Un appareil de photographie dispose de plusieurs objectifs qui permettent soit de rétrécir soit d’élargir notre angle de vision. Il en est de même avec notre pensée, travestie dans sa construction par la confusion dans nos sensations, nos émotions, leur gestion dans la relation.

Par analogies, on pourrait assimiler le grand angle à une pensée généralisante dont les phrases commencent par : “si je voulais, si je pouvais, si les autres, si… si… si…”. Alors que le petit angle, l’objectif macro, engendre des “ah! si j’avais su, ah! s’il pouvait ou si elle pouvait changer…”. Dans les deux cas la personne qui parle n’est pas au centre de ses propos et se laisse bercer par son imaginaire.

Pour bouger dans ces questionnements, l’ici et maintenant, la sensation et la relation

“Il n’y a pas un mouvement de l’esprit qui ne soit un mouvement du corps, de telle sorte qu’il entre en consonance avec la situation présente”.

Le bonheur : une réponse adéquate à une situation, une bonne question que je me pose ? Dans ce cas, le bonheur, ou bonne humeur, rime avec la bonne heure. Quelque chose advient, un état arrive à point nommé. Quelque chose en lien avec moi, identifié et ressenti comme tel, exprimé à l’autre sans avoir à se justifier ? Résultat d’un travail, c’est-à-dire classiquement d’une action dans le faire, et parfois, plus subtilement, le plaisir d’une évidence qui surgit ? Dans toute cette subjectivité, j’ai trouvé une constante qui me sert de fil conducteur : le temps. Le moment où une chose est vécue en relation avec l’âge que l’on a, le tout s’inscrivant dans un contexte historique : ici et maintenant à 39 ans en 2008 – Là-bas et ailleurs à 15 ans en 1955…

F. Perls avait très bien compris le processus quand, face à une personne il revenait continuellement à sa question : “qu’est-ce que tu sens ici et maintenant ?”. Car dans l’ici et maintenant il s’agit de nous, de moi, c’est à dire de mes pensées, de mes sensations dans le corps, de mes sentiments dans le cœur.
Une petite attention portée aux sensations montre que lorsqu’on éprouve du bonheur, quelqu’en soit l’origine, le canal d’information qui l’indique, c’est du relâchement. Et le relâchement c’est une sensation de détente dans le corps à laquelle bien évidement vont s’associer un ou plusieurs sentiments, des pensées. Alors nous cherchons à mettre des mots qui tenteront d’exprimer sans y arriver l’exactitude de ce ressenti. C’est là, quelque chose est là et nous aimerions bien que l’autre ressente la même chose. Mais c’est impossible.

Ce que j’appelle aujourd’hui mon bonheur, c’est l’enthousiasme. Lorsque le processus alchimique d’un alignement entre une sensation corporelle avec une pensée avec une émotion se produit et me fait passer d’une représentation abstraite et générale à ma réalité concrète et particulière. Une réalité unique, propre à mon ici et maintenant, directement reliée à son antagoniste qui m’empêchait de la sentir. Je suis comblé lorsque je ressens à cet alignement dans la relation, c’est à dire avec la personne que j’ai en face quelqu’en soit le contexte : un/une amie, l’employé(e) d’un magasin, une personne dans une administration, ma famille. La parole vraie gagne en fluidité pour le bénéfice du vivant en chacun de nous.

Actuellement, je suis heureux d’ajuster tranquillement mes désirs et mes besoins. Les premiers m’obligeant à encadrer mon impatience, gérer mes frustrations, atténuer mes projections tout en ayant des projets. Quant aux seconds, j’apprends à respecter le rythme de leur satisfaction.

Ici et maintenant je ressens le bonheur d’avoir écrit cet essai sans avoir cherché à vous faire plaisir. J’espère seulement avoir créé du lien, quel qu’il soit. A votre tour de vous faire plaisir en vous exprimant par le biais du support qui vous procure du bonheur, le mien étant l’écriture.

Et pour le plaisir de la manipulation dans laquelle les mots peuvent emmener : une fois lâché la recherche du sens, qui ne signifie pas que les phénomènes n’ont pas de sens, c’est quoi être heureux ? Être heureux sans cause si ce n’est de se sentir vivant, d’occuper la place à laquelle on se trouve. Chacun à une place, chacun à sa place. Cela demande de passer par l’hyperbole de la complexité…

Un texte ne s’écrit jamais seul et je voudrais remercier la personne dont la délicatesse des renvois m’a aidé à clarifier mes idées pour les rendre un peu accessibles, en même temps que ça m’a permis de sortir de la spirale non vertueuse de la recherche du texte parfait.

1 Yvan Amar, La pensée comme voie de l’éveil, Éd. Le relié 2002
2 François Roustang, Il suffit d’un geste, Éd. Odile Jacob, 2003