La blessure dans le coeur

La blessure dans le coeur

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C’est très étrange comme sensation. Ce n’est pas une sensation au même titre que les autres. Difficilement palpable, lancinante, fuyante, ou alors très présente, trop. Parfois elle prend la forme d’un symptôme qui bien souvent ne se manifeste pas au niveau de l’organe proprement dit. Parfois elle se referme et j’ai le cœur dur auquel vont s’associer les expressions de l’autre : “tu es dur, tu n’as pas de cœur…“. Lorsqu’elle s’ouvre et que je suis en contact, les émotions surgissent.

Une colère, à l’instar de l’animal blessé qui repousse en grognant. Pendant longtemps ce fut une colère sans conscience qui s’est traduite par de la violence, corollaire au sentiment d’injustice, de manque.

Les larmes, dont la qualité varie en fonction de mon état : quand c’est pour me faire aimer, elles sont superficielles, informes et me donnent mal à la tête ; quand elles sortent sous forme de sanglots qui partent du ventre elles chassent mes pensées, la circulation dans mon corps se fluidifie, la confusion apparaît associée à un sentiment de grande lassitude ; cette confusion est plus douce que lorsque ma tête cherche à la contrôler.
Parmi ces larmes, il arrive que certaines soient plus structurées dans leur forme. Elles me font penser à des gouttes d’eau dont le contenu serait doux comme un lait chaud qui, en coulant dehors, réchauffe l’intérieur, assoupli mes cellules et me répare en profondeur comme un baume apaisant, une caresse de l’âme. Et puis il y a les larmes de joie, celles qui résonnent avec la venue d’un moment heureux.

Le rire. Je ne ris pas beaucoup et parfois, comme des bulles de champagne, quelques notes s’enchaînent pour former une mélodie joyeuse – le plaisir de me sentir vivant.

La blessure du cœur c’est très étrange, une fois mis de côté tout ce qui peut être une cause à mon mal être. Sans tous ses oripeaux, nue, je la découvre capricieuse. Elle ne se laisse pas approcher n’importe comment. Parfois elle boude, d’autre fois elle montre son nez et c’est moi qui la boude ! Ainsi nous nous apprivoisons. Et certainement parce qu’elle est ancienne cette blessure, très ancienne, elle connaît tous les subterfuges pour empêcher que je l’approche autrement qu’avec humilité et sans aucun vouloir. Elle détient un savoir et une connaissance qui demande respect et attention afin qu’elle livre son secret.

Dernièrement, en regardant un film, cette blessure dans le cœur m’a ouvert les portes de son Royaume. L’animal blessé s’est laissé approcher doucement pour se faire caresser.
Je me suis retrouvé dans une partie de cette Amazonie intérieure que j’appelle mes amours secrets. Ils l’étaient effectivement à une époque. Une relation concrète mais qui devait rester secrète et des relations secrètes qui ne pouvaient pas se concrétiser ! Je portais tout ça dans mon cœur. Mon corps, lui, devait se charger de mes émotions enfermées. Très intelligent mon corps avec son principe d’homéostasie.
Je ne pouvais pas laisser s’échapper cette occasion d’être à son contact. Je me suis laissé porter par elle ; j’ai vogué sur mes larmes et mes rires. J’ai dansé avec mes larmes et mes rires conscient des délires dans lesquels je me suis réfugié pendant longtemps pour ne pas la sentir. Ce jour-là je n’avais pas peur de faire une place suffisante à l’inconnue constamment renouveler de cette douleur. Une brèche dans le temps c’est ouverte et j’ai voyagé dans des émotions qui n’avaient pas eu de place à l’époque, ni d’écoute sans qu’on cherche à m’indiquer un chemin : “tu verras ça passera – il faut être fort – trouve toi une occupation !…”.
Dans cette partie du Royaume le chemin sur la carte se dessine uniquement si je reste en contact… Les visages des personnes à qui j’ai ouvert mon cœur, ont défilé et retrouvé leur place dans le passé. A l’instar de Jack Sparrow et de sa boussole des désirs, j’ai un cap qui me fait prendre des détours inattendus.
Les portes du silence se sont ouvertes et j’ai senti combien le silence est douloureux. A ma grande surprise j’ai réalisé que ce n’était pas celui qui venait de l’extérieur qui me faisait plus mal mais celui qui c’était imposé à moi… il y a très, très longtemps, il y a 38 ans. Et pendant toutes ces années j’ai reproché aux autres de ne pas me dire ce que j’étais incapable de me dire à moi-même : “je m’aime”. Je réalise alors que toute mon histoire est un apprentissage du verbe “aimer”, autant d’occasion de découvrir comment je m’aime et surtout quand je ne m’aime pas, ce que je fais dans ces cas là.

D’un autre âge, cette blessure dans le corps n’a pas d’âge ; un whisky hors d’âge qui enivre les cellules, les fait danser sur un rythme du “je t’aime moi non plus”.

Comme un levain, les blessures du cœur ont besoin de chaleur et d’humidité, c’est la fonction de certaines larmes, afin de laisser s’exprimer les saveurs émotionnelles et les mots pour les partager. Pour moi elles parlent d’un silence dans lequel résonnent toutes mes pensées comme autant de balles qui rebondissent sans cesse dans une pièce fermées. Mais lorsque je me laisse enseigner par les larmes qui coulent alors tout d’un coup je sens la douleur s’apaiser, mes yeux voient ce qu’ils ne voyaient pas avant, l’air qui rentre dans mes poumons à l’odeur d’un bouquet de fleurs, et la vie continue…