Psychothérapie et psychiatrie

Psychothérapie et psychiatrie

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Depuis que je m’occupe de santé mentale, je suis amené à avoir des contacts de plus en plus fréquents avec des personnes qui souffrent de problèmes psychiques ainsi qu’avec leur famille et les services psychiatriques, avec les problématiques qui concernent la discipline psychiatrique. Si le psychopraticien, se trouvant face à des personnes ayant un problème psychique grave, a besoin du psychiatre, le contraire est-il également vrai ? Je crois vraiment que oui.

Le psychopraticien avec son attention au sujet, à sa singularité, à ses désirs, à ses besoins, à son histoire, peut et doit, en l’occurrence, aider le psychiatre à sortir de la vision universaliste propre à la science psychiatrique.
Les horizons théoriques de cette dernière vont en effet toujours plus dans un sens universaliste, de l’histoire des idées, aux standards diagnostiques du DSM, à la pharmacologie pour réparer les altérations du cerveau qui portent des modifications de l’activité psychique (peut-être le contraire n’est-il plus vrai, comme le confirment les neurosciences ?); tout est orienté pour tout reporter à un unique facteur représenté par le fait de ne pas outrepasser la limite de l’acceptabilité sociale.

Si Philippe Pinel en 1793 libéra les fous des prisons, parce que non comparables aux délinquants, la société utilisa rapidement la dimension clinique pour trouver les justifications scientifiques partagées par tous, les soi-disant classifications nosographiques objectivantes, pour mettre les fous dans les asiles psychiatriques.
Le psychiatre Franco Basaglia, écrit dans ses Conférences brésiliennes que là n’était pas l’intention de Pinel. L’asile psychiatrique, affirme encore Basaglia, “a sa raison d’être dans le fait qu’il rend rationnel, l’irrationnel. En effet, quand quelqu’un entre dans un asile psychiatrique il cesse d’être fou pour se transformer en malade, et devient ainsi rationnel en tant que malade”.
Mais la schizophrénie peut-elle être du même niveau qu’une hépatite virale, ou bien la manière d’être schizophrène est-elle différente pour chaque individu parce que cela dépend de l’histoire personnelle de chacun ? Histoire suggestive et symptôme objectif ne peuvent être mis sous la même dénomination.
La psychiatrie donc, avec le prétexte de s’accréditer comme science sur le modèle de la médecine, a éliminé la subjectivité des “patients”, tous objectivisés par cet unique sujet restant, le psychiatre. L’unique violence reconnaissable est celle des malades lorsqu’ils outrepassent les règles et les nécessités de l’organisation sociale, violence toujours considérée produit naturel de la maladie de la personne, même quand c’est une réaction à une violence subie.

En Italie, grâce aux idées de Basaglia, les asiles psychiatriques ont été fermés. La finalité de Basaglia n’était pas la fermeture des asiles psychiatriques, mais, à travers elle, l’acceptation de la part de la société de cet être humain depuis toujours inquiétant qu’est le différent.
Basaglia donne deux définitions de la folie.
La première : ”La folie est diversité, ou bien avoir peur de la diversité”.
La seconde :”La folie est une condition humaine. En nous, la folie existe et est présente comme l’est la raison. Le problème est que la société, pour se définir civile, devrait accepter tant la raison que la folie, mais au lieu de cela, elle charge la science, la psychiatrie, de traduire la folie en maladie dans le but de l’éliminer. L’asile psychiatrique a ici sa raison d’être.” Le sens de la fermeture des asiles psychiatriques dans les intentions de Basaglia était de restituer au fou la subjectivité, c’est-à-dire, le considérer comme un homme avec lequel on peut entrer en relation.

En fait, il n’y a pas de possibilité de soins qui n’implique l’être et la réalité de la personne dans son histoire, dans sa souffrance, dans sa relation au monde parce qu’il n’y a rien dans la “nature humaine” qui ne soit psychiquement et culturellement intégré; par contre, ce qui prévaut en psychiatrie, c’est la dimension biologique du cerveau, celle comportementale, cognitive et la classification nosographique du malade.
Si la relation est le fondement de tout traitement psychothérapique, elle n’en est que plus nécessaire dans un traitement psychiatrique : les interactions du sujet avec les soignants, le psychiatre, l’éventuel psychopraticien, et les soins qui en découlent, avec la famille et l’environnement, dépendent des limites qui se construisent dans la relation, de ce que les soignants et soignés sont disposés à mettre en commun, des désirs qui sont satisfaits par le sujet dans l’interaction. Ce qui signifie que le traitement doit pouvoir mettre en jeu quelque chose de pulsionnel dans l’économie de la vie de la personne, sinon il s’agit de quelque chose de formel où la solitude se transforme en abandon.

La personne doit être rencontrée dans sa situation de crise et non dans la classification d’un diagnostic qui l’objectivise dans l’enfermement de son organisme. Ceci signifie que le traitement ne peut se réduire aux médicaments, même si nécessaire, mais doit pouvoir donner une place au sujet pour le remettre dans le lien social et en même temps protéger ce lieu de l’invasion du monde externe.

Ici, en Italie, malgré la fermeture des asiles psy, dans nos structures psychiatriques, ce qui prévaut malheureusement, ce n’est pas l’ouverture d’un espace pour la relation et la rencontre, mais sous l’alibi de manque de ressources humaines, ce qui correspond à une vérité, du manque de formation à la relation des psychiatres, il ne reste que la dimension ascétique de la classification nosographique ainsi que l’indication pharmaceutique correspondante : une science structurée, propre qui confie aux médicaments la contenance dangereuse du sujet, mais non moins dangereuse que les asiles psychiatrique.

C’est sur la base de ces considérations et présupposés que j’exerce mon travail à l’intérieur de l’association des familles dont je suis président, ici à Vimercate. C’est sur la base de ces convictions et principes cliniques qui proviennent de mes formations que j’arrive à travailler, non seulement avec les familles, mais parfois aussi avec les soi-disant fous, leurs conjoints, et interagir et collaborer avec les psychiatres des Services psychiatriques du territoire et parfois avec les Services Sociaux.

Au mois de mai dernier, j’ai témoigné de tout ceci en présentant le “cas clinique” d’un “patient” que j’accompagne, dans un cours de formation pour psychologues, psychiatres, neuropsychiatres, étudiants en psychiatrie, éducateurs et infirmiers, dont le titre est “Donner une place au sujet dans le travail de réseau” organisé dans l’ex-asile psychiatrique Paolo Pini de Milan, par l’Hôpital Niguarda de Milan en collaboration avec l’Université des Études de Milan chaire de Psychothérapie.

Ce fut une belle expérience et je suis heureux de la partager avec vous. Notre tâche (rôle, devoir) de psychopraticien pour la construction d’un travail de réseau et d’aide réciproque avec le psychiatre est précieux.