La porte du soleil

La porte du soleil

Porte_du_soleil

Il y a des moments dans nos vies où quelque chose d’autre apparaît laissant un goût différent de ce qui a déjà été vécu. Comme si cela venait d’ailleurs.

C’était le 4e voyage au Pérou pour Claude et moi en compagnie de notre ami shaman Agustín qui nous initie avec patience à la vision animiste de la civilisation andine. Pour celle-ci la nature est douée d’une forme d’intelligence et de sensibilité dans toutes les expressions du vivant. Si l’être humain se relie à elle, s’il la questionne d’être à être, la réponse vient et l’échange peut se dérouler.
Ainsi Agustín pense que tout le savoir médical concernant les plantes et leurs applications a été transmis par l’esprit du végétal, dans un état de rêve. L’enseignant de ce savoir est l’esprit de la plante qui parle à l’être humain.

Le shaman est au service de la plante et se fait l’intermédiaire entre l’être humain qui souffre et la plante “maîtresse” qui guérit. Cet échange n’est possible que dans une culture valorisant la “Grande Nature” et le monde des rêves, une culture où l’homme fait partie du monde à place égale avec tous les autres éléments vivants, une culture où la présence de l’inconscient est considérée aussi réelle que ce qui est conscient, une culture où l’homme collabore avec la nature en la respectant et non en la dominant.
Nous sommes si proches dans cette vision de la pensée jungienne. C.G Jung parle d’un inconscient réservoir de mémoires et de savoir, un inconscient collectif qui à travers les archétypes structure le vivant minéral, végétal, animal et animal humain. N’en est-il pas de même pour notre corps que nous voulons dominer plutôt que relier ?

Pour terminer notre voyage, Agustín nous emmène sur le lac Titicaca et c’est dans cet état d’esprit précédemment évoqué que nous avons posé nos regards sur le lac “sujet” et non le lac “objet” en participant à un rituel d’offrande à l’esprit de cette eau pure et douce.

Nous nous sommes ensuite rendus à Tiahuanaco, sur la rive bolivienne du lac, berceau de la culture andine et selon les mythes, lieu de création du 1er homme.
Les vestiges de cette vieille ville témoignent d’une civilisation raffinée et puissante dont on ne sait pas grand-chose. L’archéologue bolivienne, responsable des fouilles du site, estime son origine à au moins dix mille ans avant J.C.
J’avais conscience de la chance extraordinaire qui m’était donnée de bénéficier à la fois de la visite éclairée par cette archéologue et de l’accompagnement de notre ami Agustín et de son épouse.
D’emblée, ils ont insisté et mis l’accent sur la vision spirituelle exprimée dans la pyramide et dans toutes les stèles qui subsistent.
Au centre de cette vision, il y a l’importance de donner et de recevoir comme mouvement fondamental de l’univers et le respect du soleil et de la lune dont les représentations coexistent dans un même temple et qui manifestent le principe solaire masculin dans sa relation au féminin lunaire.

À un moment de la visite, Agustín nous prend à part et nous recommande de lâcher nos émotions s’il y en a devant la porte du soleil, monument célèbre qui caractérise le passé archéologique de la culture andine.
Avec respect nous la contemplons. Et soudain, j’ai le sentiment que mon cœur s’ouvre au point de pleurer, de lâcher des larmes, un mélange de tristesse et de joie, mais des larmes qui viennent de loin…
Mes compagnons sont dans le même état. Je sens que nous sommes unis. A un niveau profond, essentiel, nous sommes un.
En pleurs, sans parler, nous nous sommes embrassés le cœur chauffé d’une joie indescriptible. Nous sommes repartis du Pérou enrichis de ce cadeau précieux venu de “je ne sais où”.

Quelques mois plus tard, dans un moment où la vie me paraissait lourde, terne, morose, je me suis reconnectée aux souvenirs du Pérou. J’ai tapé sur internet “Tiahuanaco, mystère” peut-être pour alimenter ma fonction de rêve, pour l’aider à prendre plus de place dans ma vie et sortir de cette vision causale qui me permet de fonctionner dans notre culture matérialiste.
Lisant d’une façon distraite les commentaires sur la porte du soleil, je m’arrête stupéfaite sur le questionnement de l’auteur de l’article : “Sur cette porte dont on ne connaît pas la fonction figure une représentation mystérieuse du dieu Viracocha. On ne comprend pas la raison de la présence des larmes qui coulent sur son visage.”
Devant la porte je n’avais absolument pas vu ces larmes, mais je les ai vécues.
Alors cher lecteur que s’est il passé ?
Est-ce la porte du soleil qui dans sa structure aide tout être humain à l’écoute à se reconnecter à un enseignement venant de la nuit des temps, celui du cœur, où est-ce par hasard que ce jour-là nous avons pleuré ensemble en nous sentant unis, frères et sœurs ?