Quand le vécu intérieur dérange

Quand le vécu intérieur dérange

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Dans notre pratique de la psychothérapie psychocorporelle, en donnant une place essentielle au vécu sensible du consultant nous accueillons son originalité, sa spécificité, sa singularité, valorisant ainsi l’intelligence du corps à l’œuvre. Déjà dans l’échange verbal, il est difficile de communiquer à l’autre la géographie subtile du monde des sensations. Les mots sont pauvres ou inexistants pour traduire la palette du vécu sensoriel. Quand le silence s’installe, nous connaissons tous cette tentation de dire à la place de l‘autre, ce qu’il ne sait pas dire. Quand le vécu intérieur dérange, inquiète, il nous confronte, consultant et psychopraticien, à la grande peur archaïque de ne pas être comme les autres, de ne pas être normal, de ne pas avoir sa place dans le monde des humains, ce qui équivaut à une mort symbolique. L’exclusion du groupe d’appartenance était le châtiment ultime dans les sociétés primitives car équivalente à une condamnation à mort.

“Dites moi suis-je normal ? Je ne comprends pas ce qui se passe en moi. Je ne me reconnais pas”… Ces questions sont la porte ouverte à la prise de pouvoir, à travers une confirmation ou une infirmation de celui qui est censé savoir. Et en même temps, elles ouvrent la porte de l’individuation au sens jungien du terme, à la prise en compte de l’inconscient. Laisser le sujet répondre, lui donne la responsabilité de cheminer avec son doute identitaire. Les réponses complexes qui surgissent à travers les rencontres, les actes, les rêves, les états de conscience modifiée, les vision… sont toujours à revisiter.
Le psychopraticien chemine avec le consultant dans cette frontière entre conscient et inconscient.

L’accompagnement psychocorporel a l’originalité d’encourager la présence, la conscience de ce qui habite le sujet pour l’aider à prendre appui sur son vécu et s’accepter d’abord tel qu’il est. Si la sensation est douloureuse, angoissante, étrange, le fait d’accuser réception de cet état hors norme, de l’accueillir avec son histoire permet d’amorcer le processus de transformation. La compréhension arrive après. Mais pour pouvoir accompagner le consultant dans ses paysages intérieurs, douloureux, obscurs et chaotiques, encore faut-il que le psychopraticien soit tranquille avec ce qui se passe, qu’il garde le lien avec l’autre, tout en habitant le paradoxe d’une complète similitude associée à une totale différence.

Il est essentiel de ne pas banaliser ce qui fonde la pratique psychothérapeutique. L’écoute du psychopraticien ne s’improvise pas. Elle désigne une forme d’attention globale et de présence à l’autre, fruit d’un long apprentissage.
Cette écoute engage le mental du thérapeute et son vécu sensible.
C’est une méditation au quotidien qui sous-entend une vacuité, une disponibilité qui ne peut être fabriquée mentalement. Il ne suffit pas de décider d’écouter l’autre pour savoir le faire.
Une formation, un apprentissage sont nécessaires. Ils passent par une prise en compte du cadre relationnel, des systèmes projectifs, des processus transférentiels et contre-transférentiels à l’œuvre etc. Il est impératif d’affirmer le bien fondé de notre profession appuyée sur la réalité de nos formations qui ne se basent pas uniquement sur une connaissance intellectuelle, mais sur un vrai savoir faire.

Notre pratique psychocorporelle nous entraîne à l’écoute des messages de notre corps conjointement à celle du langage corporel et verbal du consultant. Ce faisant, l’écoute du thérapeute est une attention donnée à l’inconscient dans la relation thérapeutique. Ainsi, le consultant peut renouer avec cette partie en lui-même peu valorisée, sa nature, et retrouve la liberté d’écouter ce que son corps exprime. En prenant soin de sa propre nature le sujet peut se relier d’une façon sensible à la grande nature dont il fait partie et plutôt que de trouver une raison de vivre, sentir grandir en lui le merveilleux goût irraisonné de la vie.

La thérapie psychocorporelle a une fonction essentielle dans notre époque hyper mentalisée, virtuelle et contrôlante, celle de fortifier le fondement de notre animalité, de garder vivant le mystère qui est en nous et hors de nous. Pour C.G. Jung, en perdant le lien avec la fonction transcendante, fruit de l’interaction de l’inconscient et du conscient, l’être humain se coupe de son appartenance à la nature. Il devient alors une machine un peu plus perfectionnée qu’un ordinateur qu’il faut réparer quand cela ne marche pas comme prévu.
Alors, poursuivons sans chercher la facilité; gardons à l’esprit que nous n’avons pas à guérir mais à aider le sujet à prendre racine dans la complexité du jeu de l’ombre et de la lumière pour développer sa capacité à tenir debout, en résonance avec cette prière amérindienne : “Que la beauté soit à côté de toi, qu’elle soit au-dessus de toi, en dessous de toi, derrière toi, devant toi, que la beauté marche avec toi”