Interrogations sur une croyance qui fonde notre pratique professionnelle de psychopraticien(cienne)

Interrogations sur une croyance qui fonde notre pratique professionnelle de psychopraticien(cienne)

Interrogation_croyance_psychotherapie

Article extrait de l’intervention d’Éliane Jung-Fliegans à la journée d’étude de l’AETPR sur le thème : Croyances et psychothérapie.

Nous baignons tous dans des courants de croyances, d’idées toutes faites, de rumeurs qui sous-tendent nos visions du monde conscientes et inconscientes.

Aussi, apparait-il nécessaire de nous interroger sur les présupposés qui alimentent notre pratique de psychopraticiens(ciennes), présupposés qui sont susceptibles de s’installer pour nous comme des certitudes rarement questionnées. Il y en a notamment une sur laquelle notre culture s’est construite : l’âme et le corps sont séparés. Elle se niche dans notre représentation du monde et conditionne certains de nos comportements. En héritant de cette croyance nous fonctionnons avec l’idée qu’il y a deux mondes : celui de l’âme et celui du corps.

Déjà Platon en parle, et Descartes par la suite. Tous deux insistent sur le fait que pour pouvoir accéder à la pensée qui est le propre de l’être humain, il faut considérer que l’âme est séparée du corps. L’âme chez l’Homme est la partie noble et le corps, la partie frustre périssable, celle qui va se décomposer. Le développement de cette idée, prend à contrepied la vision poétique des religions de l’antiquité. Virgile le poète nous en parle, les religions antiques sont truffées de Dieux, c’est le polythéisme. Il y a des Dieux pour tout, la médecine, les arts, la sagesse, etc… Une des choses essentielles pour vivre en harmonie et que l’ordre règne, est d’avoir la faveur des dieux, d’être en ordre avec eux. Ainsi semble-t-il évident à cette époque là, d’honorer les dieux à chaque moment de la vie. La nature est beaucoup plus concernée dans cette vision du monde puisque, comme dans les traditions animistes, les dieux en font partie, ils sont partout dans la nature. La nature a une âme.

Je cite Michel Onfray « le polythéisme amoureux de la vie laisse place au monothéisme fasciné par la mort. Le vin, les pampres et le rire de Bacchus sont troqués avec la croix, le sang et les larmes du Christ.». Vous voyez combien le monothéisme amène quelque chose de plus dur, de plus rigoureux, plus axé sur la peur de la mort et moins sur le plaisir de vivre.

« Mais se touchant le crâne, en criant “J’ai trouvé”
La bande au professeur Nimbus est arrivée
Qui s’est mise à frapper les cieux d’alignement,
Chasser les Dieux du Firmament.

Aujourd’hui ça et là, les coeurs battent encore,
Et la règle du jeu de l’amour est la même.
Mais les dieux ne répondent plus de ceux qui s’aiment.
Vénus est faite femme, et le grand Pan est mort.» (Georges Brassens « Le Grand Pan »)

Avec le monothéisme et le christianisme, où l’accent est mis sur l’âme, il y a également une injonction de ne surtout pas céder aux plaisirs de la vie et à l’envie du savoir. La notion de péché apparaît avec celle de culpabilité.
Comme une évidence, l’âme existe et à un moment donné va quitter le corps.
C’est une croyance qui façonne notre regard, notre façon de voir les choses. Cette croyance induit et conditionne notre représentation du monde et notre lien avec la nature et les animaux, et plus encore avec notre propre nature animale. A l’extrême, accorder ainsi moins de valeur à la chair qu’à l’âme introduit la vision de deux mondes.
Celui d’une vie terrestre moins importante que celui de la vie céleste. La mort est banalisée et le juste est celui qui sacrifie son plaisir de vivre et à l’extrême sa vie pour accéder au paradis.

En écrivant ces lignes, je suis bouleversée par la violence qui s’est déployée au cœur de Paris le 13 novembre dernier, comme un écho à ce thème de l’importance de nos croyances. L’humanité est bien fragile lorsque les êtres sont possédés par une idée et tuent au nom de cette idée. Ils manifestent le mépris de la vie pour une prétendue autre vie !
La croyance selon laquelle la chair est soumise à l’âme est un feu vert pour transformer la nature et les animaux en objets d’expérience. Le corps lui aussi est objectivé. La distance s’installe là où régnait le lien sensitif avec la nature. Elle entraîne avec elle l’obligation de comprendre la vie et néglige le besoin d’honorer la vie, la nature.
Dans la bible, Dieu dit à l’Homme « voilà je te donne tout ça. Vous devez fructifier et vous multiplier. Remplissez la Terre et soumettez la ». Soumettre, dominer les animaux, asservir la nature, exploiter le règne animal et végétal. Tout cela nous mène aujourd’hui, à une forme d’inconscience concernant notre origine, là d’où nous venons tous. Nous sommes en train de scier la branche sur laquelle nous nous tenons. L’utopie partagée selon laquelle seule l’âme compte, peut nous entraîner dans une forme de suicide collectif.

Par rapport à cette vision où les animaux sont au service de l’Homme, il y a tout de même, au 2ème siècle, un homme qui s’insurge. Il s’appelle Celse. On ne trouve plus son « discours véritable », car on pense qu’il a été détruit par les moines copistes, ceux qui tenaient les ficelles des croyances chrétiennes et qui évacuaient tout ce qui pouvait déranger. Paradoxalement, nous en avons connaissance par son ennemi Origène, qui a écrit un « contre-Celse » et qui par conséquent détaille les thèses auxquelles il s’oppose. Pour Celse les animaux manifestent de l’intelligence. Comme les Hommes, ils construisent et bâtissent des cités.
De nos jours, nous le vérifions constamment avec l’étude des termites, des abeilles et des autres espèces. Celse dit que les animaux témoignent de la compassion envers leurs semblables, qu’ils sont prévoyants et peuvent donc se projeter dans le futur. Ainsi le cimetière des éléphants où ils enterrent leurs morts. Les animaux communiquent, certains disposent de langages. Celse a développé sur les animaux un discours aux antipodes du judéo-christianisme. Aujourd’hui, on en arrive même à penser qu’ils ont une capacité d’abstraction. On s’aperçoit que les oiseaux ont un chant individuel, comme s’ils pouvaient communiquer des pensées. C’est une révolution.
Evidemment nos vieilles croyances de supériorité risquent d’en prendre un coup si tout cela continue à se vérifier! Quand l’Homme, merveille des merveilles, se place au dessus de toutes les espèces, il induit des comportements aberrants et méprisants.

La venue de Darwin va révolutionner cette vision du monde. « Nous sommes originaires du singe, l’ancêtre de l’Homme est un primate ». La théorie de Darwin est incompatible avec le mythe chrétien. Ainsi encore aujourd’hui aux Etats-Unis, les gardiens de la tradition réunis dans le mouvement créationniste, rejettent cette idée.
Darwin va entamer une révolution ontologique en secouant le piédestal sur lequel l’Homme s’est installé et en mettant en avant sa nature profonde qui est de nature animale.
La thérapie psychocorporelle fait une tentative désespérée – je dis désespérée parce que ça nous dépasse encore, comme si ces croyances étaient enfouies au fond de nos cellules – de relier le corps et l’âme. Il est difficile de rester dans cette vision d’une interconnexion de l’âme et du corps, telle qu’ils ne soient pas séparés mais unis ensemble. Avec leurs consultants, les praticiens en thérapie psychocorporelle doivent d’abord faire avec la croyance de la suprématie de l’âme et tout ce qui en découle : l’âme, le monde de l’âme, le paradis, la relation avec Dieu, etc…et ensuite commencer à questionner et souligner l’importance du corps dans la conscience humaine.

La pensée de Darwin me semble préparer la venue du mouvement psychocorporel.
Dans cette optique, l’Homme a une nature animale et ce nouveau paradigme replace l’Homme dans la nature, dépendant de cette nature.
En lieu et place d’une relation de pouvoir entre l’âme et le corps, l’approche psychocorporelle propose une vision d’amour entre la nature animale et l’esprit dont elle témoigne. En ce sens, elle secoue le figement installé par la vieille croyance pour privilégier une relation plus sensitive avec le monde, plus incarnée dans le vécu de l’ici et maintenant.