L’autre attendait

L’autre attendait

L'autre_attendait

L’autre attendait, collé à la paroi.
L’homme né un jour avait dormi jusqu’au petit matin. On était début septembre, les jours étaient plus courts, l’automne était commencé depuis la mi-août – selon le calendrier chinois. Le ciel s’accorde mieux à celui-ci qu’au nôtre.
L’autre attendait, collé à la paroi, silencieux.
La nuit s’était émaillée de quelques réveils. L’homme né un jour avait entendu pleurer sa petite-fille. Il avait vu sa compagne, lors d’un réveil, lire à la clarté d’une lampe frontale. Mais il s’était chaque fois rendormi et il avait dormi jusqu’au petit matin.
L’autre attendait, collé à la paroi, silencieux, le signal.
Généralement l’homme né un jour se couchait avec le sentiment apaisant de sortir d’exil. Il se réveillait avec le sentiment oppressant d’y retourner. Quand il se réveillait dans la nuit et que par malheur il pensât au jour, il peinait à se rendormir. Il rêvait que le sommeil vienne le prendre dans ses bras, sans qu’il ait rien à dire. Cette nuit-là, malgré les réveils, il dormit jusqu’au petit matin.
L’autre attendait, collé à la paroi, silencieux, le signal qu’il saurait reconnaître.
En fin de nuit, l’homme né un jour se vit invité à de grands rassemblements. On avait décidé de lui montrer le dessous des cartes, qui tirait les fils derrière les figures de premier plan, qui avait accès aux leviers de décision. L’homme né un jour était enfin accueilli à la table du présent, il se sentait enfin considéré comme un habitant à part entière de cette terre. L’homme né un jour s’éveilla avec un sentiment inhabituel de liberté. Il posa un pied hors du lit, un peu enivré de se sentir si vivant.
C’était le signal. Il y avait urgence. Le caillot se détacha de la paroi et fila, à travers veines et artères, jusqu’à sa cible.
Embolie pulmonaire foudroyante, déclara le médecin devant le corps de l’homme né un jour à 4h45 du matin et mort un matin à 6h15.

(septembre 2014)