Dieu est vraiment très fatigué

Dieu est vraiment très fatigué

Dieu est fatigué

Dieu est fatigué, tellement fatigué.

Les hommes le sentent. Il n’y a jamais eu autant de tornades dévastatrices, autant d’inondations, autant de séismes. Le climat se dérègle, les hommes errent en quête de bras protecteurs, de valeurs sûres, de phares.

Dieu est fatigué mais de ce qui se passe sur terre Il n’a cure. Depuis que les hommes ont trouvé le chemin de la connaissance et qu’ils en savent bien plus qu’Il n’en a jamais su et qu’il a eu la maladresse de révéler l’étendue de son ignorance dans des livres imprudemment nommés comme étant Sa parole, Il les a laissés se débrouiller.

Dieu est fatigué de ce qui se passe chez Lui. Il en a ras-le-bol des geignards, des revendicatifs, des jamais contents. Surtout des pas contents de Lui. Tous ceux qui se croient permis, dès qu’ils arrivent, dès qu’ils comprennent chez Qui ils sont, de la ramener sur tout ce qui va de travers, les maladies, l’injustice, les méchants qui font ce qu’ils veulent, tandis que les vertueux doivent souffrir, sans parler des morts à la guerre, des écrasés sous les tremblements de terre, des noyés par les inondations ou les naufrages. Ça tremble dans les certitudes.

Sans parler des pèlerins qui meurent par accident alors qu’ils vont ou reviennent de pèlerinage. Ceux-là sont les plus difficiles. Il s’en souvient, Dieu, des trente-trois arrivants du premier août 1922, morts dans le déraillement de leur train alors qu’ils se rendaient à Lourdes. Il avait pu arguer que n’étant pasencore passés par la grotte miraculeuse Il n’avait pu assurer leur sécurité. Mais l’argument n’avait pu servir pour les passagers de l’autocar tombé dans un ravin en revenant d’un pèlerinage à NotreDame de la Salette en Isère ((vingt-six morts) ou pour les trente-huit Italiens morts de la même façon après avoir honoré Padre Pio. Il avait été plus facile de répondre aux quinze Pakistanais morts accidentellement en revenant de péleriner auprès d’un saint soufi qu’ils devaient s’adresser à la concurrence, qu’Il n’y était pour rien.

Dieu sait ce que la concurrence rétorque aux plaignants, que le pèlerinage est en soi une bonne action exemplaire et qu’à plus forte raison une telle mort est une bénédiction, un vrai coupe-file pour le paradis. D’ailleurs la concurrence, elle s’en sort mieux. Chez son aîné, Jéhovah dit l’Éternel, l’accent est mis depuis toujours sur l’étude des livres saints et de leurs commentaires. Des bibliothèques entières ont été écrites et étudiées pour montrer que l’Éternel sait ce qu’il fait et que ce qui est malheur pour les hommes vient leur montrer qu’ils ne sont plus sur le bon chemin, même s’ils croyaient l’être. Des bibliothèques entières aux livres racornis et usés d’avoir été manipulés. Et plus l’événement dépasse l’imagination, plus il faut la frapper. Voir la Shoah, démonstration grandeur nature.

Son benjamin, Allah dit Ar Rahman, le Miséricordieux, a pour sa part choisi la simplicité. Il est dit et c’est écrit que tout qui se produit est juste pour le croyant. C’est écrit. Catastrophes, accidents, maladies trouvent leur raison dans les errements des victimes.

Lui, le Dieu d’amour et de miséricorde, a longtemps prêché la même doctrine. S’il y avait une sécheresse catastrophique, les hommes devaient faire pénitence, jeuner, processionner, lui faire des offrandes, des promesses de dons. S’il y avait une épidémie, il fallait justifier sa foi en massacrant quelques juifs ou des infidèles. Comment se fait-il que depuis quelques siècles, ça ne marche plus ? Les Occidentaux, les chrétiens encaissent mal l’argument. Ils ont tendance à dire que la vraie bénédiction c’est de continuer à vivre débarrassés de leurs maladies, de leurs infortunes, de tout ce qui a motivé leur pèlerinage. Comment se fait-il que pour Lui, et pas pour Eux, la mécanique bien rôdée ne fonctionne plus et que les hommes ont commencé à se plaindre amèrement et à marchander ?

Dieu essaie toujours de sortir la carte du libre-arbitre de l’homme sur son destin, sa liberté de choisir entre le bien et le mal, etc. Ça ne marche pas, ils lui répondent libre-arbitre, libre-arbitre, les glissements de terrain, les inondations, les éruptions volcaniques, c’est notre libre-arbitre ça ? Et Tes VRP de la théodicée qui essaient de nous faire croire que c’est pour notre bien, que ceux à qui ces malheurs arrivent sont des pécheurs, même s’ils s’ignorent, même s’ils ont eu une vie admirable, même s’ils ont cinq ans !

Dieu est fatigué, découragé par tous ces gens qui arrivent en disant, de deux choses l’une, soit tu es Dieu et Tu es le patron tout-puissant, qui a la main sur tout et ça veut dire que tout vient de Toi, mais alors Tu es vraiment sadique, ça T’amuse ? Soit Tu n’es pas du tout le patron, Tu te laisses marcher sur les pieds par les phénomènes naturels, mais alors qu’est-ce que Tu fais ici et qui est le maître ?

Dieu est fatigué, vraiment très fatigué d’entendre ces reproches, revendications, récriminations, plaintes ou remarques goguenardes depuis quelques centaines d’années. Il pourrait douter de lui-même, se demander s’Il est bien Celui qu’Il croit être ou qu’on Lui fait croire, mais Dieu ne peut pas Se demander ça. Ça ferait tomber toutes les majuscules. Il ne peut pas Se demander ça, rapport à Ses équipes, Ses personnels, et les multinationales qui comptent sur Lui. Dieu ne peut déprimer puisque, tous les spécialistes le savent, la dépression est la souffrance de ceux qui se pensent totalement abandonnés par Dieu, la dépression c’est la déréliction. Dieu abandonné par Dieu, où va-t-on ?

Que faire pour mettre fin à ce tourment perpétuel, auprès duquel les tortures bien connues que certains de Ses collègues ont autrefois infligées à des emmerdeurs, comme Tantale, Sisyphe ou Prométhée sont presque légères. Il décide de sonder les têtes bien faites qui L’entourent. Il faut trouver un moyen pour que tout ce qui encombre et empoisonne la vie des hommes n’envahisse pas Son univers. Va pour leurs prières et leurs demandes d’intervention, mais que cela s’arrête à Ses portes ! Les experts ne cessent de frapper à la porte de Son chef de cabinet, aucun avis ne Le satisfait, mais un jour un voyageur du temps se souvient d’un original du 19° (siècle précise-t-il) qui aurait peut-être une solution. Opération top secret, la plus grande discrétion est requise à tous les échelons.

Le bonhomme arrive. Un bon vieillard à l’air quelque peu nébuleux, seuls les yeux perçants invitent à lui marquer le respect. On lui demande ce qu’il suggère. C’est très simple, dit-il. Faire en sorte qu’avant de venir jusqu’ici, les hommes oublient ce qu’ils ont vécu, ce qu’ils ont souffert, qu’ils oublient même minute après minute ce qu’ils vivent. Faire en sorte qu’ils vivent uniquement dans le présent. Ils ne trouveront rien à redire à découvrir un nouveau présent en franchissant la dernière porte. Tu en as le pouvoir et ils ne T’en trouveront que plus fidèle à leur croyance, immémoriale, elle.

Dieu est ravi. Ça, Il saura faire avec Ses super-pouvoirs neuro-biologiques. Encore un mot :

– Ton nom, cher ami ?

– Aloïs Alzheimer. A Ton service.

(janvier 2015, Hammamet, octobre 2016, Marseille)